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100                    SULLY-PRUDHOMME

quelque peine à se dégager de cette étreinte où le poète
semble se complaire à l'enfermer. Elle jaillira parfois à la
fin, d'autant plus vive et d'autant plus saisissante qu'elle a
paru plus abstraite et même plus confuse au début. J'en
prends pour exemple un sonnet inspiré par la vue de
l'Apollon du Belvédère, où les deux quatrains, obscurs,
embrouillés et d'une versification pénible, sont relevés
tout à coup par la vive inspiration des tercets qui ter-
minent :

        L'horizon verse en nous l'allégresse ou l'ennui ;
        Le monde intérieur se teint du jour solaire :
        Le climat laisse empreint son vivant similaire
        Dans l'âme et le roseau qu'elle a pour frêle étui.

        Et la beauté du corps n'est que l'hymen en lui
        De sa terre natale et du ciel qui l'éclairé ;
        Elle est de leur baiser l'ouvrage séculaire,
        Ebauche heureuse, encore à parfaire aujourd'hui.

        O sculpteur, plus puissant que la nature même,
        Tu coules en airain son modèle suprême
        Dans le moule idéal qu'elle n'a pas rempli ;

        Ton regard, dans la forme humble encore, devine
        Le pur contour élu par son type accompli :
        On te la livre humaine et tu la rends divine (6).

   N'aurait-on pas pu arriver à ce beau dernier vers, si vive-
ment frappé, sans subir le « vivant similaire » ou la pesante
phraséologie du commencement? Sully-Prudhomme appar-
tient à une école qui confond trop souvent le mérite de la
forme avec la simple difficulté vaincue. De ce qu'une idée
a quelque peine à entrer dans un vers, il n'en résulte nul-


  (6) Devant l'Apollon du Belvédère, sonnet à Charles Degeorge.