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62 LE COMPARTIMENT DES FUMEURS de le mettre dans ce sac, je l'avais enfermé dans ma malle. Or, moi qui, de ma vie, n'ai voyagé seule et n'ai pris souci de mes bagages, j'ai négligé hier, à l'arrivée au Mans, de réclamer ma malle. Elle est, paraît-il, restée dans le fourgon, et, au milieu du désordre bien excusable qui règne dans le service, elle a dû, avec le train, s'acheminer sur Paris. « C'est du moins ce qu'on a répondu aux garçons, lors- qu'ils sont allés la réclamer ce matin, munis du bulletin ; c'est ce qu'on m'a répété à moi-même, quand je me suis présentée à la gare, escortée de monsieur votre ami, dont je n'ai pu esquiver l'agaçante sollicitude — pour ne pas qualifier autrement ses attentions. « Il me faut donc attendre le retour de cette malle qui, outre une certaine somme en billets de banque, contient des papiers d'importance. Le chef de gare a télégraphié à Paris; j'ai moi-même, en toute prévision, demandé par dépêche des fonds à mon beau-frère et à Londres. Mais vous comprenez que je ne puis rester dans ce cabaret; je veux me faire conduire en ville, dans un hôtel respectable. C'est déjà trop pour moi d'avoir subi ce matin les inso- lences d'un personnel qui flaire en moi une aventurière. Donner mon nom, me faire connaître comme une alle- mande, c'est m'exposer gravement, à cause de l'état de surexcitation des esprits. « Voilà pourquoi, monsieur, laissant votre ami à la gare où je l'ai mis de planton jusqu'à mon retour, je suis venue loyalement à vous. Seul, vous pouvez me prêter de quoi solder la misérable note que je dois ici et de quoi parer à l'imprévu pendant un séjour forcé d'une journée ou deux. »