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52 LE COMPARTIMENT DES FUMEURS prochaient des voitures, offrant aux soldats du vin et des vivres — trop de vin peut-être. Même, plus d'un propos galant s'échangeait : « Donnez-moi une poignée de main, mademoiselle. —Volontiers, monsieur le militaire. — Que diriez-vous, mademoiselle, si je vous promettais de vous rapporter mon cœur ? — Tâchez seulement de rapporter votre tête ! » Et de rire, interlocuteurs et auditeurs. La crainte et la pitié, on les réservait pour les Allemands, « une armée de tailleurs et de bottiers », ainsi que les qua- lifiait devant moi un aumônier qui rejoignait son ambu- lance ; pauvres gens, sans tente ni matériel de campement, qui ne sauraient tenir campagne plus de six à sept semaines ! Du reste, nous avions nos mitrailleuses qu'on rencontrait sur toutes les voies ferrées, se dressant dans leurs longues capotes de toile, engins mystérieux et d'autant plus redou- tables. Un seul tour de manivelle, et crac ! des centaines d'hommes allaient mordre la poussière, laissant d'affreuses trouées dans les rangs épouvantés de la landwher. C'est chose vraiment horrible, de massacrer ainsi les gens! Mais pourquoi la Prusse arrogante nous avait-elle poussés à bout? Et pourquoi l'Allemagne du Sud s'était-elle sottement associée à l'Allemagne du Nord? Quelques impatients trouvaient que l'Empereur tardait bien à ouvrir les hostilités : puisque cette guerre était iné- vitable, au moins fallait-il en finir au plus vite, conjme on se débarrasse d'une affaire désagréable. Mais, selon d'autres, tout était combiné pour que l'armée française entrât à Ber- lin, le jour même de la fête du 15 août. . Les fuyards, je l'ai dit, étaient encore peu nombreux, et les pessimistes rares. Pendant la seconde quinzaine de juil- let — du moins, dans les départements du centre et de l'ouest — les affaires avaient conservé un petit courant, et