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EN PROVINCE. 389 ment outragé sa femme? Le nom, le seul nom qu'il brûlait de connaître, c'était celui de l'homme qui l'avait vengé de cet ou- trage, car, pensait-il, on ne se fait pas ainsi troubadour et chevalier servant des dames sans en demander le prix et y être encouragé par quelques espérances, par quelques tendres paroles, par quelques regards furtifs et doux. D'ailleurs, le jaloux voyait dans l'anonyme qu'avait voulu conserver le poète un mystère réfléchi, calculé, et ses soupçons s'en étaient encore irrités. Aussi avait-il tout fait pour découvrir le nom qui se cachait. La vérité est que l'auteur de la fable, l'un des admirateurs du talent de la prima, n'avait eu qu'une intention, qu'une pensée bien innocentes assurément : Il avait voulu que dans ses vers, pour ainsi dire improvisés sous la chaleureuse impression du moment, il y eût comme une rosée réparatrice de l'insulte brutale et de la douleur infligée à une faible femme, à une artiste de talent. Mais notre jaloux avait à cet endroit le cœur et l'esprit fermés. La vie chez lui n'était plus qu'une fièvre. En vain la jeune épouse se montrait douce et résignée, attendant et espérant du temps que son mari lui rendît la confiance et l'estime auxquels elle avait droit. Rien n'y faisait. Un jour enfin, le nuage amoncelé creva sur le toit conjugal ; le char de l'hymen fut brisé ; et près du char on ne vit plus personne. Les époux étaient séparés, non pas judiciairement, la chose eût été légalement impossible, mais séparés de fait, séparés par les distances, l'un habitant le nord et l'autre le midi de la France. II. Deux années s'étaient écoulées, la prima donna avait accepté un engagement qui lui avait été offert aux théâtres royaux d'Amsterdam et de La Haye où elle jouissait des faveurs et de l'estime du public. Son mari faisait partie d'une troupe lyri- que, formée pour l'une de nos plus belles villes du Midi. C'était alors l'époque des débuts ; grande affaire pour les jeunes oisifs et les habitués du théâtre. 11 faut avoir habité la province,