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96                       DE L'OISIVETÉ
en vue d'un devoir, dans l'ordre que dicte le caprice ou le
désir du moment ; si on peut à volonté les négliger ou
les remettre, celui qui y consacre sa vie n'est pas un homme
occupé : le bon sens public ne s'y trompe pas ; Il sait que le
travail véritable s'accomplit suivant une règle a laquelle on
ne peut se soustraire, et s'exerce sur des sujets qu'on ne re-
jette pas au gré de ses caprices. Or, c'est devant ce travail
régulier et obligatoire que reculent les jeunes gens qui jouis-
sent de la fortune. Vous les verrez souvent occuper leur es-
prit, cultiver les lettres et les arts, ne faire trêve aux travaux
intellectuels que pour se livrer a de rudes exercices du
corps ; mais ils aiment a passer d'une occupation a une
autre, et ils refusent d'accepter tout assujétissement pro-
fessionnel.
   Et vraiment Von ne saurait s'étonner de cette disposition,
quand on considère quels sont les instincts de l'homme. Au
milieu de toutes les variétés de caractères, on trouve, d'une
part, une répulsion universelle contre le repos complet, et
d'autre part, une répulsion non moins générale contre l'assu-
jettissement. Chacun cherche h éviter l'ennui qui accompagne
l'oisiveté , et appelle 'a son aide les occupations passagères,
aussi bien que les jeux. Mais, la règle est pénible aux hom-
mes mûrs aussi bien qu'aux enfants ; le travail obligatoire
de chaque jour et a des heures invariablement fixées répugne
à notre nature ; nous ne nous y assujétissons que sous l'em-
pire de l'autorité, du sentiment du devoir, ou de la nécessité.
   Et cependant quel travail peut donner des fruits s'il n'est
dirigé vers un but certain, poursuivi avec persévérance,
accompli suivant une règle. et s'il ne réunit ainsi l'unité
dans l'objet, la suite dans les moyens, la régularité dans
l'exécution ?
    « Comme nous veoyons, dit Montaigne, des terres oisif-
ves, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille
sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que, pour les tenir
en office, il les fault assubiectir et employer a certaines se-
mences pour nostre service
Ainsi est-il des esprits ; si on ne les occupe à certain subiect
qui les bride et contraigne, ils se iectent desreglez, par cy
par la, dans le vague champ des imaginations. . . . et
n'est folie ny resverie qu'ils ne produisent en cette agitation. »
   C'est pour éviter ces écarts et assurer les résultats du
travail régulier que depuis la plus modeste école de village,