page suivante »
4-0 DON JUAN. rendez-vous nocturne, et là , par un de ces actes de justice sommaire assez en harmonie avec le caractère espagnol, le firent mettre à mort; puis ils semèrent dans le peuple le bruit que Don Juan avait insulté le commandeur jusque sur son tombeau, et que la statue, miraculeusement animée, avait précipité le blasphémateur dans l'enfer. Ce récit merveilleux, mis en vers par les moines, devint le sujet de ces pièces bizarres, a la fois destinées a l'édi- fication et a l'amusement, qui se jouaient dans les couvents, et qui, marquant le passage des représentations populaires du moyen âge au théâtre de l'Espagne moderne, relient les vieux m\ stères aux drames religieux du XVIIe siècle, aux Autos saeramentales. Tirso de Molina n'a donc pas le mé- rite de l'invention, mais il a l'honneur d'avoir gravé en traits ineffaçables la figure encore indécise de son héros. Trans- portons-nous, pour le juger, dans l'Espagne catholique de la fin du XVIe et du commencement du XVIIe siècle, où le théâtre encore mêlé souvent aux choses religieuses, con- serve assez de traces de son origine ecclésiastiq'ue pour qu'une comédie puisse être un sermon en action, et nous verrons apparaître Don Juan, non seulement aussi brave que les cavaliers espagnols, ses ancêtres , mais encore aussi croyant. Pour lui, la foi ne saurait être mise en doute; mais emporté par ses passions, plein de fougue et de jeu- nesse, il croit qu'il n'est pas temps encore de s'amender ; il ajourne sa conversion a l'âge où les sens fatigués se chargeront d'eux-mêmes de lui prêcher la pénitence ; il oublie que cet endurcissement peut lasser la miséricorde divine, qu'il peut être frappé au milieu de ses iniquités ; il prend au sérieux le mot ironique et blasphématoire du Don Juan de Molière : « Sganarelle, encore vingt ou trente ans de cette vie-ci et puis nous songerons à nous : » en un mot, il est le représentant d'un âge de foi, où les passions ne