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174 colline roide et rocailleuse arrête brusquement votre regard ; dans l'une de ces anfractuosités, vous apercevez une chaumière délabrée et sans ombrage, c'est la maison du possédé. Au-des- sous de vos pieds , à une grande profondeur, vous avez la som- bre vallée de Gourtal et le bruissement monotone d'un torrent. C'est ici le lieu des apparitions , des bruits surnaturels , des chasses-malignes, sinistres ébats des esprits de la nuit, bruyantes mascarades des sorciers et des lutins , où se confondent en un charivari épouvantable le miaulement des chats , le roulement descarosses, le claquement des fouets, les ricanernens des far- fadets. Malheur au voyageur téméraire qui, entendant derrière lui ce brouhaha de l'enfer, se hasarderait à tourner la tête! il se sentirait alors emporté en de yiolens tourbillons, enveloppé et étouffé dans une Irame de toile immense , jusqu'à ce que son bonheur lui eût inspiré ou rappelé quelqu'une de ces bonnes formules captieuses qui mettent le diable à quia. Il est remar- quable que, dans les contes populaires , le diable demeure tou- jours le nigaud. Il a bien payé la peine de son orgueil évangélique, le pauvre diable, le moyen-âge lui a infligé sans pitié sa mor- dante ironie ; il l'a revêtu de formes grotesques, il l'a bafoué, il l'a écrasé de ridicule , un enfant peut lui rire au nez. Ouvrez le Grand Albert, à la page fatale, le diable va vous apparaître soudain hideux et difforme: « Que me veux-tu? vous dira-t-il de sa bouche grimaçante. » Ne vous en laissez pas imposer, répondez tout simplement : « Je veux que tu épuises la mer avec un panier. » Et le diable sera capot, il s'en retournera confus le grand Jean de Nivelle. Nos grand'mères nous ont souvent ré- pété , pour le besoin , ces bienheureuses formules qui lient la puissance de Lucifer; car notre enfance, à nous, Forésiens, a été bercée de contes diaboliques et de bien d'autres encore. Temps heureux et vraiment poétiques de l'existence, où sans se douter de ce que peut être la poésie, on la respire avec la vie, on en jouit comme de l'air, comme du soleil. A Crozet, elle était répandue partout, dans les bois , dans les vents, dans les chants du soir^ dans les veillées d'hiver, et surtout dans les âmes bonnes et croyantes des habitons. Mes impressions les plus profondes, mes airs les plus aimés et les plus intimes, ceux