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280 LA BOUCLE D'OR rapprocher de moi, afin d'éviter, dans la mesure du pos- sible, les ardeurs implacables que nous promettait un midi de juillet. Tout chez mon voisin, ses allures, sa tenue, l'aspect de ses menus bagages déposés dans le filet, jusqu'au type de la calotte dont il était congrûment coiffé, dénotait un brave homme de bourgeois se rendant à quelque station thermale du centre, pour soigner un reste de gastrite ou de bron- chite. Mais, au contraire de ce qui arrive à ses pareils, il ne disait mot, et je n'eus pas à me garder contre le débor- dement de questions et de confidences dont les voyageurs de cette catégorie sont trop souvent coutumiers. Pourtant, il tournait souvent les yeux de mon côté, je sentais même qu'il me dévisageait, et soudain, aux ap- proches de Roanne, il risqua quelques mots timides. Du premier coup, je reconnus cet inimitable parler de l'habi- tant de la Croix-Rousse, dont une bouche étrangère ne saisit point aisément la lenteur cadencée et les intonations, parfois enfantines comme dans certains dialectes italiens, parfois mêlées de brusques éclats gutturaux qui semblent un ressouvenir du jargon burgonde. Il se trouva que mon compagnon de route et moi étions de vieilles connaissances. Un peu moins âgé que lui, après d'assez longs rapports de voisinage, je l'avais com- plètement perdu de vue, depuis plus de vingt ans. Vous avez remarqué sans doute que l'image des per- sonnes s'incarne dans notre esprit, sous une forme et avec un contingent de circonstances dont nous ne pouvons plus la séparer. Cette image se traduit en une sorte d'hiéro- glyphe, spécial à chacun de ceux que retient notre mémoire, et qui, en un trait, nous les représente : c'est une expres- sion du visage, un sourire ou un tic, c'est un mot, ou