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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 347 ]a peine de vous indiquer toutes les sinuosités de son rivage, de vous nommer tous les villages qui l'animent et de vous dessiner les profils de ses montagnes. Mais, en vérité, comme ce principe appliqué rigoureusement simplifierait grande- ment le travail que je me suis proposé, si même il ne le ren- dait pas impossible, je me vois obligé de vous prévenir que je suis capable de le violer tôt ou tard, peut-être à l'instant même. Notre vaisseau traversait le golfe avec rapidité, le ciel était étincelant, et la mer calme était sillonnée dans tous les sens par les petites barques des pêcheurs à voile trian- gulaire; dans le fond, plantée sur une colline qui sem- blait venir à notre rencontre, apparaissait Cagiiari, avec ses clochers mauresques, ses toits en coupole, ses dômes surbaissés et ses grands remparls couverts d'aloès, de cactus et de poivriers. Les rayons d'un soleil ardent r e - vêtaient la ville d'un voile lumineux et doré, faisaient saillir les angles des murs, dessinaient les nervures des coupoles, et jetaient ça et là de grandes ombres portées, arrêtées et transparentes. Ce spectacle était magnifique et enivrant; c'était la réalisation complète de ces villes imaginaires, rêvéels à la lecture d'un conte fantastique. Si j'osais énon- cer franchement mon opinion, je dirais que je ne con- nais rien de plus pittoresque , de plus original , que cette apparition de Cagiiari, vue de la mer; que même je la préfère au panorama splendide de Gênes, et à la vue éblouissante de Naples et de son fortuné rivage. Mais comme malheureusement aucun touriste littéraire n'a fait, je crois, le voyage de Cagiiari, que bien peu auront envie de le faire, on m'accuserait d'abuser de l'avantage de ma position, l'on suspecterait la bonne foi de mes récits, et l'on révoquerait en doute la véracité de mes narrations; aussi je me contente de dire que c'est un spectacle ravissant, dont je conserverai le souvenir toute ma vie.