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348 LETTRES SUR LA SARUAIGNE. A peine notre vaisseau fut-il entré dans le port, qu'il fut environné par de petites barques, pleines de faquins, en cos- tumes de l'école de natation ; à un signal donné, ces honnêtes corsaires montent à l'abordage, tombent sur le pont, et font main basse sur tous les effets, avant que le pauvre voyageur ait eu le temps de se reconnaître; et quand, revenu de son premier étonnement, il songe à défendre son bien, il a la douleur de voir les barques s'éloigner au plus vile, l'une emportant sa malle, l'autre son sac de nuit, une troisième son carton de chapeau, et une dernière son parapluie; ce qu'il a de mieux à faire, c'est de descendre lui-même dans une barque, et de gagner lestement le rivage pour recevoir ses effets à leur débarqué. Alors, moyennant une rétribution vivement et bruyamment disputée, ils sortiront des mains, et quelles mains! de messieurs les faquins, pour passer dans celles des douaniers, et quels douaniers ! Cependant par respect pour la vérité, je suis obligé de confesser que ces douaniers, aussi hargneux, aussi détestables que tous les douaniers, sont pourtant très divertissants, ce qui, au premier abord, peut sem- bler paradoxal : comme en leur qualité de Sardes, ils n'ont qu'une idée extrêmement vague des mille petites futilités enfan- tées par la civilisation, l'autopsie de la malle d'un voyageur français excite vivement leur curiosité, et les fait passer de surprise en surprise; l'aspect d'un parapluie leur cause un étonnement profond, un nécessaire ù toilette les intrigue grandement, et ils tournent et retournent en tous sens un chapeau mécanique sans pouvoir parvenir à comprendre sa destination. Mais comme il pourrait se faire que ces objets fussent nuisibles à l'État et hostiles au gouvernement, ils sont confisqués et retenus en douane jusqu'à nouvel ordre. Une fois sorti des mains de ces Messieurs, je me fis con- duire dans celui des deux hôtels de la ville, qui me fut indi- qué comme le plus digne d'abriter sous son toit mon esti-