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448               LETTRE A M. DE LAMARTINE
théose des Girondins. Ceux-là doivent être déjà bien désabusés.
Comme vous me le disiez un jour, la gloire des Girondins consiste
à avoir su prolonger leur regard au delà de la France, sur l'huma-
nité. C'est par là que vous devez vous complaire en eux. Mais,
d'autre part, quel funeste désaccord entre l'intelligence et la vo-
lonté ! ambitieux du pouvoir et dignes de le posséder, ils ne surent ni
s'en servir, ni le conserver : et, par un mauvais ressentiment, par
faiblesse surtout, ils laissèrent l'ordre social s'abîmer dans l'anar-
chie. «Ils ont eu le génie de l'éloquence et celui de la mort » il leur
a manqué le génie de l'action qui les aurait fait vivre, eux et tant de
milliers de victimes pour le bien de la France et du monde. 11 vous
appartenait de les juger sévèremeut, et aussi de pronoucer leur orai-
son funèbre avec un sentiment d'amour et de religieuse équité.
   Il est curieux de rassembler toutes les controverses que suscite
une œuvre de haute portée, qui touche, comme la vôtre, le vif des
intérêts et des partis. Les uns disent timidement et en hochant la
tête gwe vous allez un peu loin; d'autres crient par-dessus les toits
que vous êtes en pleine république ; les Républicains vous trouvent
 un peu trop royaliste à leur gré, et les royalistes ont contre vous de
non moindres griefs. — L'esprit peu fait au combat, je me suis
trouvé d'abord un peu embarrassé, je l'avoue, au milieu de tous
ces feux croisés ; mais je n'ai pas eu de peine à me dégager.
    Votre jugement sur la Constituante m'avait paru un chef-d'Å“u-
vre de précision et de profonde politique. C'est de là justement
qu'on est parti pour vous accuser de rêves tout républicains. Si j'ai
bien compris, vous n'admettez que trois alternatives : d'abord une
sorte de compromis entre le monarque et la constitution, compro-
mis que vous déclarez absurde au point d'initiation et de défiance où
on en était venu... ou la suspension provisoire du roi, en essayant
delà République; ou bien enfin, la déchéance après Varennes et
l'instauration immédiate de la République, et ce dernier parti vous
semble de beaucoup le meilleur. Assurément vous ne venez point
prêcher le bouleversement, mais l'ordre dans l'indépendance. Vous
avez de nos mœurs actuelles une trop profonde expérience pour vou-
loir, en ce moment, chez nous, une organisation républicaine. Nous
ne ferions que de très mauvais républicains, vous le savez. Mais