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386                     VOYAGE A VIENNE.

du fond de la province, et réclame une solution prompte et
d'urgence. Je pourrais citer beaucoup de faits à l'appui de
cette assertion : en voici un seul :
   Pendant un hiver âpre et prolongé, le grand canal, à Ve-
nise, fut profondément gelé. La circulation était entravée.
Il fallait faire des travaux prompts et rompre la glace. Un
conflit s'élève à ce sujet ; le gouverneur de la province ne
croit pas avoir pouvoir de trancher la question, et enfin elle
est portée, en toute hâte, à Vienne, par un exprès qui avait
ordre d'attendre et de rapporter la réponse, impatiemment
attendue. Le gouvernement autrichien délibère, temporise,
ajourne, médite, et lance enfin une décision tranchante,
équitable peut-être, mais qui arrive en mai, quand les gon-
doles sillonnaient depuis trois mois les tièdes ondes de l'A-
driatique, époque où il n'y a de glace, à Venise, que dans
les cafés de la place St-Marc ! Voilà la justice autrichienne,
quand elle est embarrassée : ajourner, suspendre, et s'en
remettre au temps !
   Le reproche le plus sérieux qu'on puisse, en bonne jus-
tice, faire au gouvernement autrichien, c'est, sinon de tendre,
du moins d'arriver à amoindrir l'homme et à le dégrader,
en annihilant ses nobles pouvoirs. Qu'on me passe le mot :
cette habileté gouvernementale est méprisante pour l'huma-
nité ; c'est une habileté de nourrisseur et de dompteur d'ani-
maux. Toute celte science gouvernementale consiste à dé-
tourner la pensée des choses graves qui touchent aux sociétés,
aux destinées humaines, aux intérêts moraux, pour l'assoupir
et l'enfermer dans le cercle élroit des futilités, des plaisirs
vulgaires et des choses purement matérielles et de grossier
intérêt. De là ce peuple malléable, amusable et gouvernable,
épris du bien-être, du bien-vivre et du bien-danser, et qui,
pour tout le reste, fatsse faire aux Dieux (1) !

  (t) On ne doit point oublier que cet écrit est intitulé : Voyage à Vienne.