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AGNÈS DE MÉRANIE. 311 émouvants que peuvent arracher la douleur, la prière, l'espoir, la colère, et pour cela il fallait plus que de l'observation et de l'étude, il fallait être un poète, et un grand poète dramatique. Le rôle de Philippe-Auguste, bien qu'il soit remarquablement composé, est loin d'être à la hauteur de celui d'Agnès. L'immobilité forcée de ce personnage, qui ne pouvait que s'épuiser en colères véhémentes, était un des défauts du sujet choisi par M. Ponsard. Mais cette difficulté ne l'a point rebuté. Agnès lui suffisait pour animer la scène et exciter l'intérêt ; celle-ci appartenait complètement à sa fantaisie, il pouvait donc composer sa figure au gré de son imagination. Mais le roi avait un caractère historique que l'au- teur aurait pu respecter peut-être avec plus de soin, malgré les exigences de la scène. L'ame du prudent Philippe-Auguste n'était guère susceptible d'un grand enthousiasme chevaleresque. Du reste, ce ne serait là , à notre sens, qu'un mince défaut, la tragédie étant moins une étude de l'histoire, qu'une analyse éloquente du cœur humain. Le légat est une création très-heureuse. Le poète a su adoucir avec art cette physionomie un peu dure. Le mouvement de pitié qu'il laisse percer un instant dans cette âme austère est d'un effet très dramatique. Cette partie de la pièce est écrite avec plus de grandeur et de pureté que tout le reste de l'ouvrage. Là , M. Ponsard était à son aise, et il pouvait dépenser large- ment les trésors de sa riche poésie. Il y a développé avec éclat cette rare qualité déjà mise en relief dans Lucrèce, d'embrasser d'un coup d'œil les grandes questions historiques, et de les expliquer avec une clarté et une grandeur de vue vraiment saisissantes. Les deux personnages secondaires, Guillaume-des-Barres et le comte d'Alençon sont deux types différents et également heureux de la chevalerie du XIII e siècle ; l'un, vieilli sous le harnais, endurci par de longues guerres, mais gardant sous cette rude enveloppe un cœur plein de sensibilité et de noblesse ; l'autre, jeune, brillant et brave, laissant éclater ses sympathies ou sa colère, avec une ardeur impétueuse qui fait plaisir à voir. En somme, c'est là une œuvre de premier ordre. Les moyens dramatiques employés sont, il est vrai, d'une extrême simplicité, mais l'auteur a su tirer de chaque situation des accents si émouvants, des mouvements de passion si énergiques, que l'intérêt ne faiblit pas un seul instant. Le style en est bien supérieur à celui de Lucrèce, qui brille plus souvent par l'image que par le sentiment. Ici, presque tous les vers sont en situation ; ils sont nets, fermes, concis, pleins d'harmonie et de naturel. On sent qu'ils obéissent à la volonté d'un maître qui ne leur fait dire que ce qu'il veut. Nous avons aussi admiré l'art parfait avec lequel M. Ponsard à su donner à son lan-