Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
310                          AGNÈS DE MÉRAME.
 mot du moine a sufli pour disperser la foule. Il vient , à cette heure , s'offrir à
 prendre Agnès sous sa garde et à protéger sa fuite. Mais il est trop tard. La
 reine est placée dans cette alternative terrible de voir le roi déposé si elle
  reste , ou renégat si elle part. Elle tente un dernier effort sur le coeur du
 Légat. Tout ce que l'éloquence de la passion a de plus touchant passe dans ses
 paroles. Quand elle a épuisé toutes les raisons humaines , elle se jette à
 genoux et invoque le nom de ce Dieu clément qui soutient les faibles. Un
 instant le moine est ébranlé. Il demande au ciel la force d'accomplir ses de-
 voirs. Il est l'instrument d'un bras plus fort ; il doit exécuter la loi. La Reine se
 relève alors, égarée , échevelée , et, se révoltant contre cette tyrannie inexo-
 rable , charge le Pape d'une malédiction terrible. Elle vient de prendre une
 résolution suprême , elle a entrevu la mort comme la seule issue du cercle
 fatal où elle est enfermée.
    Enfin elle vient couronner son œuvre de dévouement et d'abnégation. Elle
 vient sauver le roi au moment où l'on va prononcer la sentence de déposi-
 tion, au moment où Philippe vient de tenter un dernier et vain effort sur le
 cœur de ses barons. Elle vient mourir calme et résignée, laissant ignorerai!
 roi la sublime folie de son dévouement, envoyant à ses ennemis des paroles
 de pardon, à Dieu, des prières de repentir; heureuse de sauver, par sa
 propre perte, tous ceux pour qui elle aurait voulu vivre, et quittant sans
 regret ce monde où elle avait tant souffert.
    Celte esquisse rapide des situations dans lesquelles M. Ponsard a placé son
héroïne, doit suffire à faire comprendre quel développement il a donné à ce
caractère; pour entreprendre cette tâche, pleine d'aspérités et d'écueils, de
faire, pour ainsi dire, un drame avec un seul personnage, il fallait se
sentir bien fort, il fallait être assuré d'une puissance d'expression, d'une
souplesse de style telles qu'on pût rendre avec bonheur les nuances les
plus délicates. Le beau langage donne aussi des émotions, comme les situa-
tions fortes ; il crée lui-même des situations quand il exprime avec vigueur
les élans des passions. Nous devons le dire avec joie, l'auteur a déployé
dans le rôle d'Agnès une si admirable richesse de style, une délicatesse de
sentiments si exquise, une variété si grande dans l'expression des passions,
qu'on devine chez lui des mines inépuisables. Après avoir entendu ce rôle,
on peut dire de lui ce qu'un grand poète répondait à un de ses amis qui
le complimentait sur son œuvre : « vous enverrez bien d'autres! » Là, en
effet, ce n'était pas seulement le travail patient d'un romancier anatomiste,
d'un historien du cœur que l'auteur avait entrepris ; il fallait faire vivre ce
cadavre arraché à la mort de l'oubli, il fallait mettre en acliou tous les
trésors de sensibilité renfermés dans un cœur de femme, en tirer les cris