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266                   VOYAGE A VIENNE.

que ; cela fait un ôcheveau fort embrouillé ; il faut bien
que l'attention se divise et le temps se partage pour mener de
front ces travaux. Que l'historien délaisse un peu le passé,
tout glorieux qu'il est, pour le présent, tout ingrat qu'il soit,
c'est assez naturel. Peut-être môme faut-il bien lui pardon-
ner, malgré son amour des batailles, d'oublier les drapeaux
pris sur les Autrichiens, pour songer aux portefeuilles à rem-
porter sur l'ennemi !
   Quand on visite un champ de bataille, on a beau écarter
les poétiques relations, on rêve, malgré soi, de sillons engrais-
sés * on fait sortir de ces terres de carnage une fantasmagorie
      ,
classique d'armes brisées, rouillées, et enfin on déterre les
grands os, ce coup de maître de Virgile ! Mais en réalité,
rien de moins significatif, rien de moins révélateur que ces
lieux, témoins vraiment muets des plus importants faits d'ar-
mes. Les sillons monotones y tracent placidement leurs lignes
droites, et lesang impur n'y fait point pousser l'herbe plus haute
qu'ailleurs. Comme ces grands débats des nations se passent
ordinairement dans les vastes plaines, on dirait que tout, jus-
qu'au nivellement des terres, concourt à ce que rien ne reste
en relief. Quelquefois seulement s'élève une froide pyramide
commémorative, que les vaincus s'efforcent de détruire après
les traités. Jamais fait plus grave ne laissa moins de traces
appréciables. Le nom, les négociations et les conquêtes qui
ont suivi, l'histoire enfin, voilà qui parle haut de la grande
bataille féconde en résultats : le champ ne dit rien.
   J'ai vu plus d'un champ de bataille ; j'ai rêvé, comme un
autre, de ces terribles luttes; j'évoquais, dans ma pensée, les
dragons chevelus, les grenadiers épiques, la charge à la baïon-
nette ; j'entendais les cris des blessés ; je couvrais le sol de
cadavres ; je faisais manœuvrer les colonnes serrées, et, au
milieu de mes plus savantes combinaisons stratégiques, au
 moment où j'enfonçais le centre de l'ennemi, mes yeux re-