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VOYAGE A VIENNE. 267
tombaient sur l'insignifiante plaine qui mettait mes armées
en déroute. Comment se battre plus longtemps? la fumée de
la poudre était remplacée par le brouillard du matin ; le sang
chaud par la fraîche rosée ; les longues lignes de soldats par
les longues ligues de guerêts ; les vaches grasses paissaient lÃ
où fut le plus fort de l'action.... Il me fallait battre en retraite
et faire la paix.
Ces champs de bataille autrichiens, où nous avons récolté
si ample moisson de gloire française, sont muets comme tous
les autres, quand ils auraient tant de choses à raconter ! A
quoi servirait d'ailleurs la description banale et froide que je
pourrais faire, quand retentissent encore ces flamboyants bul-
letins de la grande armée, qui participaient de la chaleur de
l'action, et quand on peut consulter ces récits stratégiques
où la parole a la sèche et vive précision de la manœuvre. Sur
la guerre, laissons parler les hommes de guerre, ceux qui di-
sent : j'étais là ; fy ai eu la jambe cassée !
Je ferai donc comme l'immense vallée que je contemplais
duhautduKalenberg: je me tairai sur la grande lutte; mais
je parlerai beaucoup du grand fleuve qui se déroulait sous mes
yeux. C'est d'ailleurs le goût de l'époque de déserter les champs
de bataille pour les grandes entreprises d'intérêt général, et
l'époque a raison.
Mais à quoi pensaient donc les Romains d'appeler l'Eridan
(le Pô) roi des fleuves? et le Danube donc, ou, pour parler
comme eux, l'Ister ? Voilà un grand chemin qui marche,
route vraiment royale, qui va, à la lettre, de la Forêt Noire
à la Mer Noire, — sept cents lieues de cours ! Quel fleuve ar-
rive à un tel terme, après un trajet si long, si laborieux, Ã
travers la vieille terre d'Europe et ses plus grands accidents !
Partir, obscur ruisseau, d'une obscure vallée du grand duché
de Bade, près de Doneschingen pour aller tomber glorieu-
sement dans la Mer Noire, en face de Trébisonde, porte