Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
374           NOTES D'UN PROVINCIAL

paraître au travers du visage et du corps, dans ce problème
dontFlandrin seul a presque atteint la solution en sacrifiant
un peu de l'élément humain, il semble que l'élément divin
a échappé à peu près complètement à M. Bonnat. Il a fait
un puissant corps d'homme, mais non pas le corps d'un
Dieu, et le raccourci de la tête n'y sauve pas grand'chose.
Mais on ne saurait douter après avoir vu cette toile que son
auteur ne doive être un excellent peintre de portraits, et
c'est ce que son exposition démontrait, en effet, avec une
brillante surabondance. Le visiteur n'avait que l'embarras
du choix entre M. Pasteur, M. Puvis de Chavannes, M. Jules
Ferry, M. Alexandre Dumas, le cardinal Lavigerie. Quant à
moi, ce sont ces deux derniers qui m'ont arrêté. J'ai trouvé
que M. Bonnat devait au premier modèle tout ce qu'un
tempérament dur jusqu'à la brutalité pouvait apporter de
secours à la force presque barbare de son pinceau, mais il
doit encore davantage au second : l'éminent archevêque de
Carthage, nature bien autrement complexe et complète, à
ressources infinies, caractère à la fois souple et fort, âme
rare autant que grande intelligence, lui a donné l'occasion
d'être complet lui aussi, et de joindre à la force la finesse et
la profondeur.
   Si M. Bonnat est surtout remarquable par ses portraits
d'hommes, c'est au contraire à représenter des effigies fémi-
nines qu'excelle un artiste qui me paraît beaucoup trop peu
connu et estimé, M. Léon Comerre. Il avait à l'Exposition
deux toiles entre autres, h Jeune Fille en rose et la Dame en bleu,
pour lesquelles j'irais volontiers jusqu'à l'appellation de
chefs-d'œuvre, tant ils sont merveilleux de grâce délicate et
d'élégance. Le travesti est évidemment le procédé favori du
peintre, et il en tire des effets extraordinaires. Rien ne sau-
rait rendre le charme aristocratique de la Dame aux paniers