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NOTES D'UN PROVINCIAL 373 caractère comme le mérite est précisément le fini de leur peinture, j'entends l'énergie du dessin, l'heureuse vérité de la couleur, par dessus tout la vive expression des attitudes, le relief extraordinaire des physionomies. Je ne compren- drai les tableaux de Millet que lorsqu'ils auront été refaits par Meissonier, et si l'on me trouve excessif, je deman- derai quelle fureur ont certains critiques de vouloir absolu- ment mettre Millet et Corot en dehors et au-dessus de la belle phalange des Jules Dupré, des Théodore Rousseau, des Brasc'assat, des Troyon, des Daubigny même et des Diaz, pour ne parler que des morts, où il semble que les simples rangs seraient déjà assez glorieux. Je viens de nommer Meissonier : ce Hollandais épique demeure le maître incontesté des vivants. Son 1814 n'a besoin ni d'être décrit, car tout le monde le connaît, ni d'être loué, car tout le monde le comprend et y sent l'ins- piration d'un grand peintre. Cette petite toile ne manque jamais d'évoquer en moi la belle pièce de la Légende des siècles, Aymerillot, et c'est pour me paraître encore bien plus belle. Le peintre atteint la note juste et s'y tient, tandis que le poète la dépasse en plus d'un endroit; la lassitude des pairs de Charlemagne est plus triviale et moins vraie que celle de l'état-major deNapoléon. Un autre véritable maître de la peinture contemporaine est évidemment M. Bonnat, dont le Christ en croix a le mérite rare de faire penser à Michel-Ange. Il le rappelle même trop, car dans le problème difficile, s'il n'est insoluble, de rendre aux yeux un Homme-Dieu, c'est- à -dire un personnage humain de structure parfaite, pou- vant servir de modèle et de type à tous ses semblables, et en même temps un personnage divin, dont la communion intime et constante avec la Divinité trouve moyen de trans-