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364                NOTES D'UN PROVINCIAL

une des perles du Louvre, à être une des perles de l'Expo-
sition. On ne s'explique une inspiration aussi haute, même
chez un peintre de génie, que par les quinze ans de luttes
héroïques que la France venait de traverser, et d'où elle
n'était pas encore sortie : pour l'évocation de ce cavalier
épique, il ne fallait rien moins que l'épopée impériale. Et
Géricault a peut-être été plus audacieux encore le jour où
il s'est représenté lui-même tranquillement assis sur la plus
vulgaire des chaises de paille, un peu de côté, un bras
appuyé sur le dossier, les jambes croisées, et regardant le
spectateur. C'est tout, mais il est impossible de dire l'effet
 produit par ce singulier tableau. La chaise, rendue dans sa
vérité triviale avec une exactitude qui atteint au tromper
l'œil, le costume sévère et simple du personnage, son atti-
tude d'un sans-gêne audacieux, sa physionomie extraordi-
 nairement fine et étrange, le regard profond, énigmatique
 et doux dont il vous interroge et vous pénètre, tout cela
 s'enlevant sur un fond uniformément blanc que l'on peut
 croire inachevé, forme un ensemble unique et dont on ne
peut se détacher. Il y avait encore, dans une des salles,
une page d'études de cet étonnant artiste : ce sont des che-
vaux vus par la croupe, et il y en a là, superposés en trois
rangées dans une assez petite toile, quelque chose comme
une trentaine. Je ne voudrais point prêter à rire, et, dans le
pays de Molière, dire que c'était intéressant et expressif
comme des visages... Et pourtant je ne dirais que la vérité.
    Géricault a eu un jeune frère, dont je vais parler tout de
suite, à cause des ressemblances de génie, et aussi de la
triste fatalité qui les a fait mourir à trente ans tous les deux.
Il n'y avait d'Henri Regnault, à l'Exposition, que le Général
Prhn; il semble que l'héroïque victime de Buzenval méri-
tait mieux. N'était-ce pas le cas de faire sortir la Salomé de