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366 NOTES D'UN PROVINCIAL Il me faut revenir en arrière pour m'occuper maintenant de deux maîtres, des deux chefs d'école qui ont passionné toutes les imaginations du siècle, et dont les noms ont été mêlés à des batailles qui ne sont pas encore terminées : Ingres et Delacroix. Ce dernier avait au Champ de Mars un assez grand nombre de toiles, mais qui n'étaient pas toutes d'égale importance, à beaucoup près. J'écarterai d'abord les incon- cevables marmelades de couleurs, telles que le Meurtre de l'archevêque de Liège et même la Mort de Sardanapale; des visiteurs disaient devant moi de la première de ces toiles que ce devait être l'esquisse; je n'ai pu que le supposer, moi aussi, mais alors qu'est-ce qu'elle était venue faire à l'Ex- position ? J'écarterai aussi les tableaux littéraires, Médèe, Hamlet et Polonius, Lady Macbeth, où l'auteur s'est seulement essayé à des recherches d'expression, et j'irai droit à la Liberté sur les barricades et à Saint Louis au pont de Taille- bourg, qui parlent dignement de leur auteur. Ces deux tableaux ont du mouvement et le frémissement de la vie ; il y a toujours de cela dans Delacroix. Le premier pourtant me rappelle trop avec sa « forte femme » le vers connu de Barbier, et il est fâcheux que, par un renversement des rôles, ce personnage allégorique soit autrement en chair que le garde national dont on entrevoit dans l'ombre la silhouette bizarre et mal équilibrée, d'un effet douteux, malgré l'assemblage hétéroclite du fusil et du chapeau à la Bolivar, Le Saint-Louis aussi est une oeuvre brillante et iné- gale, plutôt tapageuse. Il était bien placé, en bonne lumière, je l'ai considéré avec le plus grand soin, sous tous les angles et à toutes les distances, et il m'a été impossible de me débrouiller dans ce fouillis de personnages, d'atti- tudes,, d'hommes, de chevaux et d'armes. Je comprends la