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NOTES D'UN PROVINCIAL 365 me me la collection de M de Cassin, et de prier M Du parc de prêter son admirable portrait, la Dame en rouge (2)? Ces toiles eussent remplacé avec avantage les interminables tur- queries où M. Benjamin Constant ne fait que reprendre et gâter certaines inspirations de Regnault. Pour la gloire de l'artiste, le Général Prim était néanmoins suffisant. Ce n'est pas de talent ni d'application, mais bien de génie qu'il faut parler, en face de cette effigie tragique que le modèle eut l'incroyable et fort heureuse idée de refuser. Prim ne s'y trouvait « ni lavé ni peigné » : je crois plutôt qu'il s'y retrouvait trop tout entier, et que le peintre lui révélait des choses qu'il ne voulait pas s'avouer à lui-même.Le fait est que Regnault a peint ce portrait au moment du triomphe de la révolution espagnole, et que c'était le portrait du triompha- teur; il a donc mis dans cette oeuvre tout l'enthousiasme qu'une âme telle que la sienne pouvait éprouver en 1868 pour ce qu'on est convenu d'appeler la liberté, mais son génie de grand peintre l'a emporté à son insu, et il a été profondément, absolument fidèle, plus fidèle qu'il ne croyait l'être, en formant cette figure anxieuse d'un mélange d'ir- résolution et d'incapacité. Si le cheval de Géricault est jeté sur la toile plus hardiment encore que la bête magnifique de Regnault, la face dure et abrupte du cavalier impérial le cède de beaucoup au masque pâle, si vrai et si humain, de Juan Prim. Quoi qu'il en soit, les deux œuvres s'appellent, et loin de se nuire se font valoir ; c'est une gloire suffisante pour Regnault, et il n'est pas douteux que, dans sa modes- tie d'homme de génie, il s'en fût contenté. (2) Ce pauvre Regnault est encore victime de la critique, et des gens qui raisonnent au lieu de sentir ; n'a-t-on pas, au Louvre, relégué son Exécution à Grenade dans un coin où elle est invisible?