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346 LA PESTE A SAINT-GENEST-MALIFAUX des détails d'une crudité à peine déguisée; très libres d'al- lures, nous sommes devenus en matière de langage d'une susceptibilité chatouilleuse et nos oreilles paraissent d'au- tant plus délicates que nos actions le sont moins ; le pieux ecclésiastique était moins scrupuleux ; il partageait la future opinion de Boileau, il appelait un chat un chat et les Rollet de ses montagnes des fripons et autre chose. Qu'on lui par- donne ce style trop franc et que la vraie pudeur n'en soit pas effarouchée. En revanche quelle description saisissante ! quels coups de pinceau énergiques et sombres ! Ne semble-t-il pas que nous assistions à l'épouvante des villageois frappés par la maladie contagieuse, abandonnant leurs demeures, réfugiés sur les hauteurs et dans les bois, se construisant le long des chemins, au milieu des champs, des cabanes, des loges en planches, où les pestiférés, la plupart laissés sans secours et sans remèdes, n'attendent plus que la mort. L'église a été fermée, les offices sacrés interrompus; plus de cloches, plus de chants, plus de funérailles; les prêtres se sont installés aux lieux les plus frappés, debout pour leur ministère le jour et la nuit. La culture est délaissée, la misère est à son comble; les pauvres pullullent sur les routes, on en ren- contre jusqu'à cinquante, mendiant leur pain à la même porte; l'effroi et la mortalité augmentent, et l'amour du plaisir et le goût des jouissances paraissent redoubler en même temps ; plus proche est le trépas, plus vif est le désir d'épuiser les joies de la vie : on organise des bals, on boit, on danse, on fait bonne chère à quelques pas des loges, où une famille entière se débat dans les convulsions de la fièvre; le bruit des violons accom- pagne le râle des agonisants; cependant les cadavres privés de sépulture sont la proie des corbeaux, des chiens et des