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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 475 possible de vous dire combien j'en suis encore louché et reconnaissant. Vous le savez, cher ami, je ne suis pas le moins du monde agronome, je n'ai môme pas, chose rare aujourd'hui, la pré- tention de l'être. Les différents systèmes agricoles, l'importance des engrais, ou l'amélioration de la race bovine, et autres questions de la môme importance me sont complètement étrangères, et mon amour pour la nature n'est pas encore arrivé au point de me faire trouver agréable l'odeur du fumier, ni harmonieux le grognement des pourceaux. Et pourtant je n'étais a l'établissement que depuis quelques jours, que déjà je m'intéressais aux mille détails de la ferme, dans lesquels je rencontrais des séductions inconnues ; par- courant les champs en labour, visitant les étables, me fami- liarisant enfin avec les odeurs nourrissantes et les accords discordants. C'est qu'en vérité ces grandes exploitations qui répandent autour d'elles l'abondance et la vie, qui remuent des cen- taines de bras, et que dirige une volonté supérieure et intelligente, ont pour l'homme un attrait irrésistible; et puis aussi, j'y avais rencontré une société aimable et distinguée, que cette solitude prolongée, qui finit par assombrir et désenchanter les plus beaux objets et à laquelle j'étais con- damné depuis un mois, rendait plus séduisante encore. Il y a dix ans, les terrains de l'Etablissement étaient en- sevelis sous les eaux saumâlres d'un étang immense, foyer d'infections pour les campagnes environnantes. « Je n'ou- blierai jamais, me disait un jour Monsieur Ferrand, créa- teur de cette vaste entreprise , une promenade que je fis sur la palude de San-Gavino pour en explorer les bords et en sonder la profondeur. Le vent du soir qui soufflait avec violence faisait enfler les vagues et poussait notre barque chancelante, qui bientôt vint s'arrêter dans les