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468 LETTRES SUR LA SARDA1GNE. appelle plastiques, comme en littérature, la forme n'esl-elle point tellement liée au fond que l'une entraîne l'autre? Et n'esl-il pas évident que, par cela seul qu'un artiste aura su unir dans son travail le dessin à la couleur, il aura fait né- cessairement une œuvre louable de tous points. Aussi je pro- fesse une horreur instinctive pour les tableaux socialistes ou palingénésiques, et, quant au paysage, il m'est impossible de comprendre l'analogie qui peut exister entre les arêtes des montagnes et les idées humanitaires. Mon esprit poursuivait ainsi ses chères divagations, lors- que le pas de mon cheval, résonnant sur le pavé, vint les disperser subitement. Je traversais un pauvre village, mal- propre et solitaire autant que les plus pauvres hameaux de notre pays ; de méchantes cabanes, bâties en mottes de terre séchées au soleil et recouvertes de chaume, entourées de pe- tits jardins enclos entre des haies de figues mauresques, fer- maient les deux côtés de la route. Des femmes en jupe de laine bordée d'écarlate, serrée sur une chemise décolletée et collante, filaient sur le seuil de leur porte, tandis que, autour d'elles, couraient ça et là des enfants demi-nus; des hommes, plies dans leur capotou, dormaient paisiblement, le visage tourné vers ce ciel indulgent, qui nourrit ses enfants de soleil et de lumière : mauvaise nourriture après tout, à en juger par leur maigreur. Devant le mur d'une maison blanchie â la chaux, exhaussée d'un étage supérieur et enrichie d'une porte et de fenêtres vitrées, excès de luxe vraiment incroyable, j ' a - perçus deux individus couchés sur le dos et plongés dans une immobilité complète, comme si les rayons ardents du soleil les eussent pétrifiés. Je m'approchai et reconnus alors que ces malheureux avaient les mains attachées et les pieds fer- més dans les échancrures pratiquées entre deux énormes pou- tres superposées. Au reste, effet sans doute de leur résigna- tion ou peut-être de leur innocence, ils dormaient profondé-