Revue du Lyonnais » série 1 - n°25 ( 1847 ) » pp.063

                               LA CÈNE.                               63
Autant la plupart des peintures soi-disant religieuses de notre épo-
que nous ont laissé froids lors même que nous y pouvions admirer
un faire habile, autant l'œuvre de M. Janmot nous émeut pro-
fondément ; on y sent l'âme d'un artiste ému lui-même par une ins-
piration sincère ; nous ajouterions qu'on y sent le ferme croyant si
nous ne craignons de donner les mains à un préjugé qui nous vaut
chaque jour de bien mauvais tableaux et de bien mauvais livres.
On ne fait pas de l'art avec de la foi; avant d'être croyant il faut
être peintre. M. Janmot s'est posé, dans cette œuvre, en peintre
doué des facultés les plus éminentes, et de beaucoup perfectionné
depuis ses premiers ouvrages dans toutes les ressources de l'exécu
 tion ; ses personnages vivent, pensent et parlent au spectateur dans
 leur attitude immobile et recueillie; il a répandu le souffle religieux
 sur leurs faces, ce ne sont point là, ces figurants de théâtre costu-
 més en apôtres qu'on nous a donnés avec profusion dans les der-
 nières années. En même temps, pour avoir visé avant tout à animer
 ses figures de la vie morale, l'artiste ne s'est pas cru dispensé de
 modeler les chairs avec correction et avec énergie et d'ajuster les
 draperies avec élégance ; pour le relief et la puissance du modèle
  plusieurs de ses têtes son d'un effet à satisfaire les réalistes les plus
  exigents.
     La figure principale , celle du Christ , est aussi la plus
  belle; elle est merveilleusement réussie, comme exécution. Le
  coloris en est de la netteté, de la clarté la plus ex.quise et le faire
  d'une finesse qui n'exclut ni le relief, ni la solidité. L'ineffable
  douceur du maître qui révèle au monde la loi d'amour se mélange
  comme il convient sur cette tête de puissance et d'autorité. Ce n'est
  point là un Christ rationnaliste et penseur à la façon de l'école
  comme on nous le peint si souvent; ce n'est pas non plus une tête
  purement séraphique où n'apparaît nullement l'action complexe de
  l'intelligence et de la liberté humaine ; ce n'est ni un ange, ni un
  docteur, c'est celui dont il a été dit par excellence Ecce homo! Le
   regard est à la fois serein, profond et attendri; peut être avec des
   lèvres un peu plus fines, la figure gagnerait-elle en idéalité, sans
   cesser d'être dans la nature. Les lèvres trop minces inclinent, il
   est vrai, à la sécheresse et à l'ironie; mais en évitant cet excès, le