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VOYAGE A VIENNE. 381 était connu de tout le monde et surtout du peuple à Vienne. 11 revenait morne et désespéré, de visiter la plaine couverte de morts où ses armées avaient succombé. Le cri vola répété débouche en bouche. En un instant, la voiture fut dételée et traînée par le peuple avec un élan généreux, avec des mar- ques de douleur, de sympathie et d'amour, bien rares et bien précieuses en un pareil moment. Le peuple s'attèle souvent au char du vainqueur, et c'est chose vulgaire; mais quand il s'attèle au char du vaincu, cela a une signification bien plus haute! (1), Le peuple viennois est vraiment un excellent peuple, bon à fréquenter, facile h vivre, prompt à obliger, bienveillant et accueillant pour tous les étrangers. Il est, chez lui, plein de bonhomie douce et sereine, laborieux, méthodique, soumis à toutes les bonnes disciplines de l'intérieur et de la famille. Seulement il a un appétit un peu vif. Ses plus impérieux be- soins n'ont pas une source bien noble : ils lui viennent de l'estomac. Il est reconnu que Vienne, en tenant compte de la différence de population, consomme plus que les autres capitales d'Europe. C'est un avantage très solide, mais bien vulgaire et peu enviable. Henry IV paraîtrait, en ce pays, bien mesquin, avec sa poule au pot, dont nous lui avons tant su de gré en France. Il faut, le dimanche, au Viennois le dîner sur l'herbe, le jambon fumé , le poulet frit, les tor- rents de bière et de fumée de tabac. Quelquefois encore, il lui faut les promenades lointaines, les parties champêtres, avec perspective du repas abondant, de la musique et de la danse surabondantes. Enfin, il est goinfre et valseur, pour tout dire. C'est par là qu'il est accessible et vulnérable. C'est (i) Ces anecdotes m'ont été racontées à Vienne. J'ai tenu à les reproduire, car elles sont bien honorables pour les sujets et pour le souverain. Miss Trollope les rapporte aussi.