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                 LETTRES SUR LA SARDAIGNE.                 357

bre ou de fromage de gruyère, orné d'une herse de fer, de
 créneaux, de meurtrières et d'un petit éléphant sculpté qui
lui donne son nom. De là, nous rentrâmes dans les rues
tortueuses du château, suivant avec précaution les pieds
fangeux et puants de pauvres maisons, percées tristement et
capricieusement de petites fenêtres bâtardes, auxquelles
sont suspendues, à la mode méridionale, des vêtements et des
draps d'une propreté équivoque, et derrière lesquels on voit
apparaître, de temps en temps, de silencieuses figures déjeunes
filles qui disparaissent dès qu'on les regarde. Après avoir mar-
ché pendant quelque temps, nous nous trouvâmes au milieu
d'une grande cour fermée d'un côté par une caserne, et de
l'aulre, par une prison, les deux plus affreux monuments
qu'ait inventés la civilisation ; nous tournâmes à droite, et
descendîmes dans le jardin de la ville. Ce jardin, création
toute moderne, galanterie qu'un des derniers vice-rois de
Sardaigne a fait aux Cagliaritains avec leur argent, n'offre
encore ni feuillages épais, ni gazons attrayants ; mais la
magnificence de sa position fait oublier celle absence de
verdure que le soleil peut-être rendra éternelle.
   Aux pieds de la colline, sur le versant septentrional de
laquelle est le jardin, s'étend une plaine immense, cultivée et
fertile comme les plaines de l'Auvergne, coupée ça et là
par des bouquets d'oliviers et d'orangers, et par de larges
étangs sur lesquels se promènent des troupes deflamandsqui,
pour me servir du style-Chateaubriand, s'élèvent de temps
en temps dans les airs, tendant le cou, allongeant les pieds
semblables à des flèches empennées avec des plumes couleur
de rose. Dans le lointain se développe une longue chaîne de
montagnes, dont les plis sombres et profonds font deviner à l'i-
magination des trésors de retraites embaumées et de mysté-
rieux feuillages. Derrière ces montagnes se dressent les som-
mets bisarres et déchirés de l'Arizou, que couronnent des