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306                         AGNÈS DE MÉRANIE.
qu'il lui avait plu de donner pour cadre à son drame, montraient assez clai-
 rement qu'il n'était pas homme à reculer devant la difficulté.
   Dans Lucrèce, en effet, l'auteur devait être soutenu si constamment par les
souvenirs de l'antiquité, que quelques esprits peu clairvoyants avaient pu se
méprendre sur la valeur du poète qui avait su fondre tant d'éléments divers
en un tout plein d'originalité , et le considérer simplement comme un copiste
habile , dépourvu de toute puissance créatrice. — Pourquoi donc , dans cette
hypothèse, tous ceux qui avaient abordé ce sujet difficile avant M. Ponsard ,
 et Rousseau lui-même, avaient-ils été écrasés par la difficulté de la situation ?
    Quoiqu'il en soit, le même reproche ne pouvait être adressé à M. Ponsard
dans sa nouvelle tragédie. Il s'était placé tout d'un coup en dehors de la
tradition, il avait choisi un sujet national, un champ vierge et spacieux , où il
pourrait s'égarer peut-être , mais où il marcherait du moins seul, soutenu par
sa propre puissance. Cet acte de courage devait exaspérer certains écrivains qui
s'arrogent le monopole exclusif du moyen-âge. Ils avaient bien eu la magnani-
mité d'abandonner aux essais des poètes tragiques la défroque des Grecs et de*
Romains, mais ils avaient vu avec un étonnement plein de colère ce nouvel
arrivé qui osait porter la main sur l'arche sainte, sur ce moyen-âge inviolable.
Ils ne supposaient pas qu'on pût jeter, dans le moule de la tragédie, qu'il»
avaient déclaré vieillie et hors d'usage , autre chose que de pâles copies de
l'antiquité. Mais qu'on eût l'audace de vouloir y introduire des élément*
nouveaux, y enfermer ce moyen-âge échevelé, cette époque pleine de troubles,
de -variations et de violence , c'était lia un sacrilège t Et malheur à celui qui
oserait le tenter ! Que M. Ponsard fit parler les Romains de Lucrèce avec la
langue d'Horace , de Virgile et de Tite-Live , très-bien ! mais qu'il voulût
créer un langage nouveau pour ces géants de l'époque chevaleresque , qu'il
voulût pénétrer dans ces palais habités par les contemporains des Burgraves r
c'était tenter Dieu , c'était appeler la foudre qui étincelait déjà dans la main
de Jupiter.
   Le fait est que le moyen-âge que nous montre M. Ponsard n'est point celui
auquel on nous a accoutumés. Nous l'avions toujours vu escorté d'un attirail
de poignards et de coupes empoisonnées , de duels , de trappes et de portes
secrètes , d'incestes et d'adultères. Ici, rien de tout cela : une pauvre femme
simple et honnête qui se permet d'aimer encore son mari après cinq ans de
mariage, et qui lutte contre tous les sentiments de son cœur pour sauver le
roi par un dévouement héroïque : quelle mince proie pour ces larges appétits
mélodramatiques !
   Quel est, en effet, le rôle historique d'Agnès de Méranie ? Elle a épous e
le roi de Franee , qu'elle a dû croire libre , elle l'aime , elle est heureuse ,