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606 LA R E V U E LYONNAISE
rable dans sa légèreté. « Il multiplie souvent, écrivait-il, la
conjonction et, comme pour frapper de petits coups mesurés :
Mais la terre et la mer et l'âge et les malheurs
Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs.
La voix me raste ; ainsi la cigale innocente, -,
Sur un arbuste assise, et se console et chante.
« Les mots sans épithète, dans ce premier vers, pleuvent
comme une ondée ; ils crépitent sur le papier, se répandent
comme un grésil argenté. »
Mais ce qui,'joint à ses merveilleuses qualités d'artiste, rend
Chénier le poète le plus achevé de la langue française, c'est
ce nombre divin qui coule dans ses vers, sa grâce enchante-
resse. Sa poésie en lui est à la fois musique et peinture. Pour
appeler cette cadence, il a des artifices charmants, comme dans
ces vers :
Les belles font aimer ; elles aiment ; les belles
Nous charment tous...
Où le mot qui commence le vers est ramené à la fin, en laissant
la phrase suspendue.
Victor Hugo a dit aussi, mais avec moins de grâce :
J'aime les soirs sereins et beaux 4, j'aime les soirs
Soit qu'ils dorent le front des antiques manoirs. . .
Dans l'Idole, on trouve l'exemple d'une autre cadence, non
moins heureuse, qui consiste au contraire à ramener au commen-
cement d'un vers le mot qui termine le vers précédent :
Tu fis crouler l'idole en t'écriant : les dieux,
Les dieux compatissants ont dessillé mes yeux...
On dira peut-être que ce sont là des observations minutieuses;
mais « l'art des vers a ses minuties, écrivait Jean sur un de
ses carnets, aussi rebutantes que celles de la comptabilité », qui
aident pourtant à faire la fortune du poète, comme la comptabi-
lité la fortune du banquier.
* Peut-être pourrait-on remarquer que les soirs sereins sont généralement beaux
et que soirs soit n'est pas d'une musique comparable à celle de Mozart, mais, tout
est permis aux dieux.