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JEAN TISSEUR 607
II
Ce n'est pas sans un peu de surprise que l'on rencontre cet
amour passionné de l'antiquité, cette intelligence profonde et
intime de l'art grec dans deux poètes de la ville des brouillards,
Lapradeet Jean Tisseur. Déjà , nul philosophe autant que Ballanche
n'avait eu le sentiment des choses antiques; Chenavard estun
adorateur de la Grèce, et le plus idyllique des peintres modernes
est Puvis de Chavannes. Dira-t-on que c'est attrait de ce qui nous
manque: le soleil, lestons éclatants, les formes nettes et pures ?
— Mais l'Angleterre, la Hollande ont les mêmes brumes que nous,
et n'ont pas ce genre de poètes. Il reste là des affinités inexpli-
quées.
Laprade et Jean Tisseur ne comprirent point du reste l'antiquité
de même façon. Les paysages du premier sont plus sommairement
peints; ceux du second, moins vastes, moins grandioses, sont plus
délicats et de contours plus lumineux. Ni l'un ni l'autre n'ont
t'ait aucune traduction ni aucune imitation d'un poète grec. Encore
moins ont-ils imité Chénier, dont ils suivirent à la lettre le
précepte, si souvent répété, mais qu'il est plus facile de répéter que
d'accomplir.
Pour peindre notre idée empruntons leurs couleurs ;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ;
Sur des pensers nouveaux taisons des vers antiques.
Jean disait que, si l'on veut savoir ce qu'est à l'imitation l'ins-
piration géniale, il suffit de comparer aux idylles de Chénier,
tout imprégnées des parfums de l'Hymette, les pastiches de Mille-
voye, qui avait connu les poésies d'André par son frère Marie -
Joseph, avec lequel il était lié. Ces imitations, ajoutait-il, n'ont pas
été assez signalées. Comme le vers y est loin de la légèreté de celui
de Chénier et de sa grâce aisée ! Jusques dans le choix des noms
propres, se relève l'artiste. Dans Chénier ils sont une musique :
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine,
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. . .
Toi, de Mopsus ami ! non loin de Bêrècynthe
Certain satyre, un jour trouva la flûte sainte. . .