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596 LA REVUE LYONNAISE splendeur aveugle et stupéfie. Grâce à son bouclier et à sa monture, le chevalier délivre la jeune fille. Nous n'avons pas de peine à retrouver ici le mythe grec de Persée et d'Andromède, introduit dans le poème comme hors-d'oeuvre ou comme simple incident; mais que de changements apportés à l'ancien fond ! Roger a une monture ailée et Persée n'en a pas : c'est Bellérophon, héros de Gorinthe analogue au Persée d'Argos, qui monte Pégase pour combattre la Chimère; mais Pégase est un cheval, tandis que l'hip- pogriffe tel que le conçoit l'Arioste n'a du cheval que le fait de servir de monture, et appartient à la race des griffons septen- trionaux à tête d'aigle, qui représentaient les vents du Nord, les aquilons. Roger a un bouclier à l'éclat magique, tandis que Persée porte simplement la tête de la Gorgone, de Méduse, image de l'éclair qui aveugle et de la foudre qui pétrifie. La tête de la Gorgone ne se fixe sur un bouclier qu'avec la Pallas athénienne, déesse qui a parmi ses attributs celui de personnifier aussi la foudre et l'éclair. Enfin, Andromède est exposée à Joppè, c'est-à -dife au midi, tandis qu'Angélique est exposée au nord, à l'imitation d'une autre héroïne des mythes grecs, l'Hésione troyenne, et la cause de la condamnation est empruntée aussi, non à la légende d'Andromède, mais à celle d'Hésione, avec des différences qui tiennent, d'une part au caractère un peu léger donné par l'Arioste à son poème, d'autre part, à la nécessité de relier l'aventure d'Angélique aux aventures environnantes, et notamment aux récits concernant la cour de Charlemagne. Si nous examinions de même la propre légende de Persée, nous verrions qu'elle avait commencé aussi à se rapprocher du conte chez les Grecs, dès le temps d'Hésiode, et qu'elle s'était grossie d'éléments disparates étrangers à la conception primitive. Persée avait par exemple le casque de Pluton, qui le rendait invisible, et les talonnières d'Hermès, qui lui permettaient de voler. Ces talon- nières, analogues à nos bottes de sept lieues, symbolisaient la course rapide du vent. Ni les talonnières ni le casque n'appartenaient à Persée : on les lui avait donnés sans qu'il en eût besoin, lui qui était un des demi-dieux de l'ouragan, pour expliquer ou pour s'expliquer comment un homme avait pu se soutenir dans l'air,