Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
464                  LA REVUE LYONNAISE
lui faire connaître les ivresses diverses des alcools frelatés. Huit
jours durant l'un et l'autre se traînèrent d'auberge en auberge ;
puis Régis déclara que c'en était assez, et qu'il ne voulait pas
s'exposer à devenir un ivrogne. A neuf ans, il avait conscience de
sa dignité.
    Au surplus, il ne voulait pas perdre une minute pour exécuter
son dessein. Il s'agissait d'abord de se procurer des élèves, et la
chasse aux chats commença, pleine de charmes et furieuse. On
n'admettait point à l'honneur d'entrer à l'école du jeune belluaire
tous les animaux qui se présentaient. On refusait les gentils petits
chatons aux yeux de béryl, à la fourrure veloutée, les chattes
sournoises, mais grasses de mollesse. On eut bientôt une troupe
très assortie : chats tigrés, couleur de rouille, à moustaches rudes ;
 chats blancs comme l'hermine, albinos aux yeux rouges, au nez
 noir, humide ; chats verdâtres, aux larges pattes armées de griffes
 oursines; chats noirs, fantastiques, maigres, allongés, haut per-
 chés, aux côtes saillantes sous le poil ras; chats pies, à la queue
 annelée de gris et d'orange, comme les maques de Madagascar ;
vieux chats lépreux et féroces, qu'il fallait déguiser pour qu'ils ne
 fissent pas horreur ; toutes les variétés, enfin, toutes les espèces
 furent représentées dans cette ménagerie, et la voiture du saltim-
 banque devint une bastille de chats qui miaulaient jour et nuit, se
 battaient, menaient tapage autant à eux trente que tout un conclave
 de guépards sur les bords du Meschacébé.
   Ce fut bien pis lorsque petit Régis entreprit décidément l'éducation
de cette bande : aucun sabbat de sorcières étiques ne fut jamais plus
bruyant. Nul ne fut admis aux exercices préalables du dompteur,
pas même Longatroubéou, qui ne regrettait point à cette heure ses
centécus. Régis avait fait construire, sous bois, une enceinte palis-
sadée avec un toit en chaume ; et là, tous les matins, il s'enfermait
pour ne sortir qu'à la nuit tombante. Il refusa même à la belle
Mohély l'entrée de sa retraite. On remarqua seulement qu'il ache-
tait beaucoup de racine de valériane chez le pharmacien de la
localité, avec lequel il avait eu une longue conférence.
   Il me reste à dire que ces événements se passaient non loin des
bords du Rhône, dd l'autre côté d'un grand pont jeté en écharpe
 sur le fleuve, à la célèbre foire de Beaucaire. Et de sa hutte de