page suivante »
LE DOMPTEUR DE CHATS 465 feuillage à la Robinson, quand Régis, exténué de fatigue, s'oc- troyait un instant de repos, il voyait, là -bas devant lui, découpant ses créneaux sur le ciel d'un bleu incomparable, la masse impo- sante du château de Tarascon, couleur d'ocre jaune, avec ses tours rondes, ses guettes, ses remparts, et la ville rendue fameuse par les exploits de l'incomparable Tartarin. La baraque de Gueule-de-Fer s'élevait tout en face du palais en toiles peintes, en forme de cirque, où la noire et divine Mohély fustigeait les compères du désert et donnait sa main à baiser a Sul- tan. Langatroubéou avait eu le génie de trouver un sujet de pan- tomime pour la grande scène où Régis devait enfin apparaître avec sa troupe de chats. Il appelait ce chef-d'œuvre Pierrot dompteur, et ces deux mots, écrits avec des lettres dont chacune représentait un pierrot dans une posture grotesque, ressortaient, blancs, rouges et noirs sur un fond d'or, tout au long de son théâtre. Le pitre débitait un boniment comique ; la maigriotte, en danseuse sévillane, bondissait sur les planches, la vieille femme tenait le contrôle, vêtue d'une douillette puce et coiffée d'un bonnet à coques de douairière; le chimpanzé tirait la langue aux badauds; le perroquet Fanuche piaulait et sacrait tour à tour, égrenant le chapelet des jurons castillans; les chiens regardaient, fort peu émus de cette scène accoutumée. Ce soir-là , il y avait beaucoup de monde à Beaucaire : on y ven- dait le choléra et la peste dans ces riches tapis de Perse, de Smyrne, d'Egypte, que les caravanes vont chercher à travers les déserts; on y vendait tous les vices, nus ou bellement vêtus; on y vendait tout ce qui se mange, tout ce qui se boit, tout ce qui fait plaisir, c'est-à -dire tout ce qui empoisonne, tout ce qui enivre et tout ce qui rend fou. Les nobles y coudoyaient les bourgeois ; les gueux, les juifs; les paysans, les gabelous ; les ouvriers, leurs pa- trons; et chacun pardonnait, en le coudoyant, à son pire ennemi. Des nomades s'y arrêtaient; s'il eût passé par là , le Juif Errant aurait vidé beaucoup de fois sa poche des miraculeux cinq sous dont il peut faire des milliards. Pour comble, on y voyait des troubadours, quelques félibres, et même un romancier naturaliste exhilarant des gloires du retour au pays natal. De cette multitude, un grand nombre de gens furent tributaires du