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                     LE DOMPTEUR DE CHATS                            463
     Mais à sa voix, même au temps de leurs âpres, rageuses, sangui-
   naires amours, les lionnes venaient se coucher à ses pieds, et Sultan,
  l'œil sournoisement baissé, la crinière flottante, léchait de sa langue
  rugueuse la main de Mohèly.
     Aussi le barnum enfouissait-il des kilogrammes de billets de
  banque dans un vaste coffre de fer ciselé, et la malabare, pour-
  vue d'un contrat en due forme, partageant avec lui, on prévoyait
  le moment où, vierge, elle se passerait la fantaisie d'épouser un
  vicomte français, un pair d'Angleterre, un grand d'Espagne, ou
  simplement quelque misérable cabotin dépenaillé, las des sifflets et
  rassasié de vache enragée.
     Langatroubéou s'exaspérait aux récits de ces invraisemblables
  richesses, de cette chance fantastique. Il abhorrait le barnum. Il
 admirait Mohèly; l'adorait, en pleurait de colère. Fût-ce par un
  désir de vengeance raffinée, par une profonde et méchante ironie,
 ou encore avec le secret espoir de lutter contre le succès de son
 rival? Il lui vint une idée diabolique. Pourquoi ne ferait-il pas, de
 cet avorton délicat, de ce petit Régis à lui vendu sous seing privé,
 un conculcateur de dragons, un charmeur de bêtes féroces? Mais
 quelles bêtes ? Pachydermes, carnassiers, reptiles et sauriens coû-
 tent plus cher qu'une écurie de courses. Un éléphant encombre, un
 crocodile dévore ; le moindre lionceau est hors de prix ; les tigres
 ne peuvent plus appartenir qu'à des rois; et le négus Théodoros
accaparait tous les lions d'Abyssinie. D'ailleurs il faut être riche
pour admettre à sa table tous ces convives royaux qui dédaignent
les nourritures quelconques. Langatroubéou se désespérait. Ce fut
Régis qui le sauva. Un escadron de chats ferait son affaire.
    Oh ! non pas ces chats langoureux au pelage de soie, accoutu-
més à dormir sur des coussins, à laper du bout de leur langue rose
une crème à la vanille dans une coupe de vermeil. Non. De formi-
dables félins, des panthères domestiques, des don Juan de gout-
tières, de gros angoras bien râblés, rominagrobis et minets, volés un
peu partout. Ceux-là feraient eux-mêmes leur cuisine. On les lâche-
rait dans les villages, et gare aux poules! Us seraient toujours en
frairie, et ne coûteraient pas un sou. Régis se chargerait de leur
apprendre à travailler.
    Gueule-de-fer fut ravi. Il emmena Régis au cabaret, et voulut