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462 LA REVUE LYONNAISE une troupe de rois du désert, non plus diffamés comme certains léopards héraldiques, mais puissants, nantis d'ongles acérés et de dents pointues. Il les voyait, en son rêve, bondir autour de lui, emportés dans une course vertigineuse.... Et le résultat de ses mélancoliques méditations fut de proposer à Langatroubéou de l'élever, lui, petit Régis, à la dignité de dompteur. Le colosse éclata de rire. Ce nain, vainqueur de fauves, lui faisait grand pi-tié. Toutefois, après avoir ri, après s'être moqué, il réfléchit. Une douleur secrète le déchirait : l'envie folle, une sourde et haineuse envie le mordait au cœur depuis des ans et des ans. Son plus proche voisin, partout, sur les prés de foire où il promenait sa vie nomade et son château branlant, monté sur roues, était un barnum de bas étage, lequel exhibait, non pas un dompteur, mais bien une dompteuse. Elle se nommait Mohély. De race malabare, petite, nerveuse, avec les proportions parfaites de la statuaire antique, elle était d'une merveilleuse beauté; sa peau, couleur de bronze, luisait comme du métal ; sa bouche charnue d'un rouge de sang, éclatait dans ce noir lustré comme une fleur de grenade; ses yeux, avivés par le crayon d'antimoine avaient des lueurs bleuâtres de phos- phore, prunelles de diamant sorties de nacre de perles. Sur son front s'entaillaient les tatouages sacrés de sa caste; un bouton de pierreries perçait la narine gauche de son nez ; de lourds anneaux à pendeloques de corail et de turquoise distendaient le lobe de ses oreilles ; un double brassard fait de bracelets d'or jaune pâle enfermait ses bras ; une chaîne d'argent, plus fine qu'une den- telle de Venise entourait sa taille ; son sari de gaze orange se drapait sur une culotte de satin broché vert de mer; un corsage pourpre, constellé de chrysoprase, enfermait comme une cuirasse sa poitrine, laissant jaillir les seins petits et ronds. Ainsi vêtue, sans autre arme qu'une brancha fleurie, lis en été, rameau de buis en hiver, Mohély pénétrait dans une rotonde où gambadaient huit lionnes gouvernées par un mâle splendide qu'on appelait Sultan. Les charmait-elle par sa beauté? Leur inspi- rait-elle de la pitié par sa faiblesse? Ou cette fille étrange de l'Inde mystérieuse avait-elle sondé les arcanes de la Magie, dont les brahmanes du temple de Mariatale sont les derniers sectateurs?