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BIBLIOGRAPHIE 449 couleurs toutes autres que celles dont la pare une tradition colportée par tous les professeurs d'humanités. Nous nous trouvons en présence d'une femme intelli- gente, d'esprit vif, enjoué, qu'une gaillardise ne fait pas broncher, qui trouvera elle-même sans effort une gauloiserie au bout de sa plume, témoins certains cou- plets sur l'abbé Testu que j'ai trouvés un jour je ne sais plus où, et au bas desquels on serait tenté de s'étonner en rencontrant la signature de l'Amaryllis enrubannée. Les derniers chapitres traitent des orateurs sacrés à la Cour de Louis XIV et enfin de Bossuet. J'aurais aimé voir M. Fournel s'appesantir plus longuement sur les sermons de l'évêque de Meaux, qui sont encore si peu connus et si insuf- fisamment appréciés. On se fait généralement une idée fausse de Bossuet qu'on se représente comme toujours sublime, toujours planant dans les hauteurs de son génie. Il est au contraire excessivement simple, tout en ayant un style des plus imagés. Chez lui la production de la figure est spontanée : on ne sent pas l'effort comme chez Massillon. La pensée et l'image jaillissent simultanément. Aussi voit-on couler naturellement dans ses sermons, dans ses oraisons funèbres, et sans presque que l'on s'en aperçoive, nombre d'expressions métaphoriques qui paraîtraient affectées chez d'autres. Il a beaucoup usé de l'antithèse, cette figure de la décadence. Chez lui elle est vraie parce qu'elle est dans la pensée et non dans les mots : « Des colonnes qui paraissent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant. » (Or. fun. de Condè.) Dans ses ser- mons il prodigue aussi l'apostrophe et la prosopopée. Nourri de l'Écriture et des Pères, leurs pensées lui revenaient à l'esprit presque à chaque phrase. Alors il ne pouvait s'empêcher de s'adresser à eux comme pour les prendre à témoin de ce qu'il dirait : « Grand Paul, expliquez-nous ce mystère, etc J'ai à parler de l'excellent ouvrage de M. Fournel et je m'aperçois que je me laisse entraîner jusqu'à Bossuet. Aussi bien c'est sa faute. Il m'a mis en si bon chemin qu'il ne doit pas s'étonner si je me permets de battre un peu les sentiers voisins. CH. LAVENIR. LA GUERRE ET LA PAIX, par le comte LÉON TOLSTOÏ. Roman historique traduit avec l'autorisation de l'auteur par une Russe. Paris, Hachette, 1884. Trois vol. in-18 Jésus, prix de chaque volume : 3 francs Ce n'est point une œuvre vulgaire que ce roman du comte Tolstoï dont la librairie Hachette vient de publier une traduction par une compatriote de l'au- teur. Trois volumes compacts à parcourir, cela est pour effrayer, quand le goût du jour est surtout épris de la nouvelle lestement troussée, et qu'un livre écrit rapidement est lu plus hâtivement encore. Et pourtant une fois qu'on a coupé les premières pages, qu'on s'est familiarisé avec les personnages que l'écrivain met en scène, on poursuit et l'on va jusqu'au bout. C'est un peu l'impression que j'ai ressentie la première fois que j'ai lu les admirables Promessi Sposi de Manzoni. Mon Dieu ! que cela est donc long, me disais-je ? où veut-il en venir? De guerre lasse, je mettais de côté le volume pour le reprendre cinq minutes après. C'est que le romancier ne peut se contenter d'indiquer à grands traits, comme l'a fait Tacite dan» ses Mœurs des Germains, les usages dont il veut fixer le souvenir, et que lorsque son but est de présenter le tableau aussi