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376 LA REVUE LYONNAISE immorale ? mais ce serait croire qu'il conseille de la suivre, alors qu'il ne veut faire qu'une satire contre l'exagération des frais de justice. Au surplus La Fontaine ne goûtait pas mieux la loi elle-même, que les gens chargés de l'appliquer et il souhaite : Que du Turc en cela on suive la méthode ; Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code. Il ne faudrait point tant de frais Le code le plus imparfait vaut encore mieux que le simple sens commun des Turcs ! L'excuse que La Fontaine met en avant dans la fable du Loup, le Renard et le Singe, pour se justifier d'avoir sacrifié la justice à la tentation d'emprunter à Phèdre un bon mot, peut servir à le défendre contre beaucoup d'attaques. Gela va nous faire toucher du doigt le défaut de sa morale. La Fontaine n'a pas inventé la plupart des sujets de ses fables. Il en a emprunté beaucoup à ses modèles de l'antiquité. Il ne fau- drait pas croire pourtant qu'il soit un imitateur. Il est le créateur d'un genre dont il est resté le seul représentant. Il a renouvé l'a- pologue. L'apologue ancien ne s'intéressait qu'à la moralité. Il traitait comme accessoires le récit et les personnages. Il insinuait une leçon morale en l'enveloppant des voiles d'une fiction. C'était l'arme des faibles qui n'avaient à opposer que l'esprit à la force. Du reste, peu lui importait l'aventure qui n'était pour lui qu'un moyen. La Fontaine changea tout cela. Il avait observé la nature, écouté son langage, et il raconte ce qu'il a vu et entendu. Pour lui le récit est tout, la moralité peu de chose. Il prend intérêt a ses per- sonnages, les met en scène, les fait parler, agir comme sur un théâtre. Il a le don merveilleux de leur donner la vie en quelques mots. Il crée l'action et les dialogues de son drame. Quant à la moralité, il ne se donne pas la peine de l'inventer ; il la prend où il la trouve, pour l'adapter plus ou moins bien et sans y rien chan- ger, à son récit. ,