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LA MORALE DANS LES FABLES DE LA FONTAINE 377 Gomme moraliste, il reconnaît lui-même son incompétence, il dit: Quant au principal but qu'Ésope se propose, J'y tombe au moins mal que je puis. De là le caractère un peu païen de son oeuvre. Le tort de La Fontaine empruntant à Esope, à Phèdre, à Horace des moralités toutes faites, c'est d'avoir oublié qu'entre lui et ses modèles grecs ou latins, il y avait le christianisme. Telle maxime, que le monde païen pouvait accepter pour suffisante,'ne l'est plus depuis que l'Evangile a révélé une loi nouvelle. La morale antique n'enseigne que les vertus humaines. Selon elle, le bien n'a pas une valeur absolue en lui-même, mais relative et contingente aux circons- tances. Ses préceptes ont pour limite l'intérêt de l'humanité, pour sanction un fait naturel. En un mot, ce n'est pas une morale dog- matique, c'est une morale utilitaire et d'expérience. N'est-ce pas le caractère de celle de La Fontaine ? Cherchez dans les fables ; vous n'y verrez nulle part conseillée la vertu la plus sublime, celle que l'antiquité a ignorée et qui ne rapporte rien à ceux qui la pratiquent : la charité. Ce que le poète appelle de ce nom n'est qu'un sentiment égoïste, un calcul intéressé, voici son précepte : Il est bon d'être charitable, Mais envers qui, c'est là le point. En d'autres termes, tâchez de bien placer vos bienfaits, car, comme il le dit, quelque part : Voilà le train du monde et do ses sectateurs On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. Ailleurs il dit : 11 faut autant qu'on peut obliger tout le monde, On a souvent besoin d'un plus petit que soi. et encore 11 ne se faut jamais moquer des misérables, Car, qui peut s'assurer d'être toujours heureux ? En eux-mêmes ces préceptes sont parfaits : soyez charitables, OCTOBRE 1884. — T. VII 24