Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                               SAPHO                              319
choses, s'il ne tombe point foudroyé, comme il arrive à ceux qui
fouillent les cloaques !
   Plus d'un me trouvera sévère, voire même injuste. Je m'y attends
bien. La volupté, comme « la servitude, corrompt les hommes jus-
qu'à s'en faire aimer ». Il en est d'un roman comme d'une femme
à qui l'on pardonne de n'être pas austère, si elle n'est point laide.
Et Sapho est loin d'être laide et disgracieuse. Jean Gaussin la
trouva charmante, et mal lui en prit; le lecteur la trouvera plus
attrayante encore, j'en ai grand peur, Daudet, le maître habilleur,
l'ayant transfigurée dans les splendeurs de son bien-dire.
   Vive Dieu ! tant d'écrivains passionnés pour le salut des âmes
 excellent à provoquer le bâillement et le sommeil ! et voici des
entrepreneurs de corruption, qui savent vous secouer un homme
 de la tête aux pieds, lui peindre le désordre aimable, et le faire
 panteler de libertinage! 0 misère.... Il est vrai, les enfants de
lumière sont moins ingénieux que les enfants du siècle, surtout
dans le métier d'écrire. Dieu en gémit et Satan en jubile.
   M. Daudet est un merveilleux styliste. Il s'aventure aussi loin,
plus loin quelquefois que Zola ; mais plus délié, plus insinuant,
plus « dupeur », il évite de choquer. Il nous entraîne aux abîmes,
sans nous faire crier. Nul ne l'égale pour sauver une situation, je
ne dis pas pour l'escamoter, il n'escamote rien, le cruel ! mais
pour la sauver, la faire passer devant vous simple, tranquille,
innocente, comme dirait l'auteur de Sapho.
   Chaque génération a ses mauvais livres, qui répondent au besoin
de l'heure. Leur vogue, tout compte fait, s'étend peu et passe vite.
D'autres s'escriment du genou et du coude pour entrer à leur tour.
C'est triste, je me trompe, c'est consolant à regarder, que le dis-
crédit infligé, après quelques jours de triomphe, a des élucubra •
tions plus ou moins fameuses. Madame Bovary a duré ce que
durent les fleurs du mal. Il y a quelques années, on ne jurait que
par elle, on s'en souvient peu aujourd'hui. Nana importunait les
oreilles chastes naguères ; qui donc en parle présentement ? F r a n -
çois Villon chantait : « Mais où sont les neiges d'antan ?... » Les
romans libertins fondent à l'envi des neiges.
   Un critique, jadis, adjurait Alexandre Dumas père, en ces termes :
   « Un écrivain de votre talent, nous doit un chef-d'œuvre : son