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                               SAPHO                               317
   Certes, voilà un dénouement terrible. Le châtiment a de quoi
faire trembler.
   Perdre sa dignité, son repos, l'estime de soi et d'autrui, renon-
cer à un riche et honnête mariage, encourir la malédiction d'un
père, fuir sa maison, sa patrie sans entendre l'adieu d'un parent
ou d'un ami, être lâché par celle à qui il a sacrifié tout, encore une
fois il y a là une leçon pour la jeunesse, et l'on s'explique, pour un
peu, la dédicace étrange.
   « Pour mes fils, quand ils auront vingt ans. »
   Seulement, le finale n'est pas toute la sonate, ni la conclusion
tout le roman. Ce qui caractérise et qualifie un livre, au regard de
la morale, ce qui le rend bon ou mauvais, c'est l'impression qu'il
produit. Telle lecture vous a-t-elle procuré une émotion salubre
ou un trouble malsain? Tout est là.
   A ce point de vue, Sapho est une œuvre immorale. La nature
humaine est telle que le mal la prend plus vite que le bien, et par
plus d'endroits, et avec plus de force, et pour plus longtemps.
L'homme, être raisonnable et sensible, n'est pas à degré égal sen-
sible et raisonnable ; son cœur est plus gros que sa cervelle ; et il
n'a qu'un esprit s'il a cinq sens. Parlez-lui raison : « Oui! » vous
accordera-t-il, froid comme glace; vous adressez-vous à ses pas-
sions, il est tout feu et tout flamme. Que lui importe l'intention de
l'auteur, la pensée du livre ? Que lui importe Jean Gaussin puni ?
Jean Gaussin et sa vie mignardement crapuleuse, Sapho insatia-
ble de volupté, c'est cela qui remplit ses veines d'une fièvre
dévorante, et l'enveloppe de frissons mystérieux, et le pénètre
de langueurs sans nom, si bien que lui aussi se propose de faire, à
la belle occasion, vibrer la lyre d'amour, « toute la lyre ! » dût
une tempête de soufre et de cendre le surprendre l'instrument
aux mains, comme le musicien d'Herculanum!
   On ne corrige, on ne dissuade pas du vice par une complai-
sante mise en scène du vice.
   Ces peintures à la Titien et à la Delacroix, ces peintures que
l'on voit, que l'on entend, qui paraissent descendre du cadre, se
détacher de la toile, et se diriger vers vous, nues et souriantes,
ces peintures n'invitent ni à la sagesse ni à la pudeur. Phryné
se déshabilla devant l'Aréopage, Sapho se déshabille devant le