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             DÉCOUVERTE D'UN CHRIST EN BUIS                           307
   Cet homme, dont personne n'a pu me dire le nom, prit le cru-
cifix et le donna à sa femme. Sa femme en fit ses délices; elle
l'aimait plus que toutes les images qu'elle connaissait, et tout le
temps que les églises furent fermées, elle fit sa prière devant lui.
   Le moment vint où l'homme dévoué fut à son tour suspect, dé-
noncé et conduit en prison. Dans ces jours terribles de la vie d'un
peuple, où les révolutions font sortir du fond de l'âme humaine ^
tout ce qui s'y cachait de férocité, de bassesse et de haine, on
voit éclater aussi tout ce que Dieu y a déposé de bonté, de cou -
rage et de magnanimité. La femme de cet homme de cœur était
une vaillante femme. Elle fit ce qu'elle put pour sauver la tête de
son mari; elle implora les juges, elle pénétra dans sa prison, elle
remua le monde. Et lorsque, condamné à mort, il dut marcher au
supplice, elle monta sur la fatale charrette avec lui; elle l'encou -
ragea en lui montrant le ciel, où elle le rejoindrait bientôt, puis
elle le serra une dernière fois dans ses bras, et elle revint seule au
logis, où elle retrouva son crucifix. Là, elle répandit son âme et
sa douleur et elle pleura longtemps.
   Hélas ! Ses larmes ne devaient jamais se sécher sur la terre. A
quelque temps de là, elle perdit la modeste fortune que son mari
lui avait laissée et tomba dans la détresse. Elle, qui avait été si
secourable aux malheureux, elle implora la bonté publique et elle
ne la rencontra pas toujours. Mais elle rencontra un homme de
Dieu, qui avait l'instinct de la pitié, la passion de la miséricorde
et la science des consolations. M. l'abbé Cattet, à qui le malheur
n'échappait pas aisément, vint en aide à cette noble infortune et
veilla sur cette âme éprouvée.
   Un jour que la pieuse femme pensait à mourir, elle souleva le
crucifix dans ses bras et, l'offrant à M. l'abbé Cattet, elle lui dit :
   — Monsieur le Curé, prenez ce crucifix, il me vient des Pères
de la Miséricorde ; il vous revient à vous, qui avez été miséri-
cordieux.
   — Mais, ma bonne Dame, ce christ est très beau, c'est une
Å“uvre d'art ; vous ne pouvez pas le donner.
   — Oui, il est beau, mais il est plus que cela à mes yeux. 11 est
celui devant qui j'ai souffert, devant qui j'ai prié, j'ai pleuré, j ' a i
été soulagée. Il porte mes souvenirs et mes espérances. Que de-