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              DÉCOUVERTE D'UN CHRIST EN BUIS                        303
    Ainsi pour une somme de 418 francs, les Pénitents noirs
 d'Avignon devinrent possesseurs d'un objet, qui peut se donner
 pour rien, qui peut se prendre de force, qui peut se détruire par
 bêtise, mais qui ne peut se payer ni par or ni par argent.
   Je ne pense pas que jamais sur la terre une matière, tant belle,
 tant riche, tant précieuse soit-elle, ait obtenu d'aussi grands
 honneurs que ce morceau d'ivoire.
    Le dict crucifix, en effet, fut porté en triomphe et inauguré
 dans la chapelle des Pénitents avec une solennité inusitée. Mon-
 seigneur l'archevêque vint le bénir et se prosterna à ses pieds dans
 toute la pompe de l'Église. Tout le peuple pendant huit jours vint
lui baiser les pieds à genoux, « et si le mond-j ne se pouvait soûler
 de voir le dict crucifix », ajoutent les registres de la Confrérie.
    « Il y eust un honnest homme qui l'aïant veu s'offrit d'en donner
 cent louis d'or, si on luy voulait vendre. »
    Ganova, qui s'y connaissait encore davantage, vint le voir à
 son tour, ainsi que « tout honnest homme l'a fait depuis. »I1 passa
quelques heures à le contempler. Puis, se tournant vers ceux qui
l'entouraient : « Conservez-le bien, leur dit-il; on ne vous en
ferait plus un pareil. »
    Un de ces savants hommes de nos jours qui ne connaissent le
Verbe divin que par la chair dont il s'est revêtu et ne regardent
le Christ du Calvaire que sur l'une de ses faces, la moins belle,
celle de son humanité, après une étude consciencieuse de ce cru-
cifix, se laissait aller à dire : « Et nous, respectueux du génie,
faisons au moins comme Moïse devant le buisson ardent; décou-
vrons-nous respectueusement et ôtons nos sandales. »
   Cependant, tous ces respects, toute cette beauté, toute cette
gloire n'auraient pas protégé le christ de Jean Guillermin contre
la fureur dévastatrice des révolutionnaires. Il courut alors les plus
terribles dangers. Jourdan, dit Coupe-Tête, avait lancé unédit do
proscription contre toutes les richesses que renfermaient les égli-
ses et les anciens monuments. Heureusement Dieu veilla sur son
Christ pour me servir d'une parole de David {Psaumexin, 7). Un
nommé Almaric, menuisier de son élat, aïeul maternel de M. Achard,
l'archiviste de Vaucluse, qne je citais tout à l'heure, à la fois péni -
tent de la Miséricorde et patriote déclaré, comprit le péril qui