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                   LE ROMAN N A T U R A L I S T E                 283

qu'ils ne procurent aucun plaisir aux débauchés. Ils les dégoûtent
profondément et les effraient parce qu'ils s'y trouvent laids et
bêtes. Ils ne les chatouillent pas, ils les terrifient.
    « Ensuite, du moment qu'on montre, comme le naturalisme pré-
tend le faire, le mécanisme de l'utile et du nuisible, qu'on dégage
le déterminisme des phénomènes humains et sociaux pour arriver
à dominer et à diriger ces phénomènes, on fait une œuvre de
science, on ne saurait faire une œuvre immorale. »
    Eh bien, avouons-le de suite, ces deux arguments nous touchent
 médiocrement, ou plutôt ne nous touchent pas du tout.
    L'idée de dégoûter et de terrifier les débauchés par la peinture
vraie de la débauche fait vraiment sourire. D'abord, messieurs
les naturalistes et M. Zola lui-même ne la font pas toujours aussi
noire et aussi terrible qu'ils le prétendent. Ensuite il est permis
 d'avoir peu de confiance en ce genre de cure homœopatique.
    L'histoire nous raconte il est vrai que pour détourner les jeunes
 Spartiates de l'ivrognerie, on enivrait des Ilotes qu'on leur mon-
 trait dans cet état dégradant, mais il faut avouer que si jamais ce
 spectacle leur a produit quelque effet utile, la nature humaine a
 bien changé depuis. Il n'y a certainement pas un ivrogne qui se
 trouvant un jour de sang-froid n'en ait vu un autre complètement
 ivre, ce spectacle l'a-t-il jamais guéri ? Il en a peut-être ri, il en
 a peut-être été écœuré, mais cela ne l'empêche pas de recommencer
 le lendemain. De même il n'y a pas de débauché qui n'ait eu mille
 occasions de voir les conséquences terribles de son vice, il en a
 peut être frémi, mais la passion, l'habitude sont les plus fortes.
    Du reste en admettant même que ces peintures du vice puissent
 avoir parfois un effet salutaire, si l'ivrogne, si le débauché éclairé
  sur les conséquences de sa conduite arrive par un effort énergique
  de volonté à maîtriser sa passion, une telle conséquence est abso-
  lument inadmissible puisque l'homme, à ce que prétend du moins
  M. Zola, n'est qu'une pure machine dont les actions sont détermi-
  nées nécessairement par l'hérédité et le milieu. Si l'on admet cette
  doctrine, ces peintures si noires et si terrifiantes qu'elles soient,
  ne peuvent avoir qu'une influence néfaste, car elles créent une
  sorte de milieu factice qui peut finir par altérer profondément les
  natures que l'hérédité a'faites bonnes, ou en d'autres termes elles