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LE ROMAN N A T U R A L I S T E 277 sant, on n'y cueille que les fleurs de la jouissance, c'est comme un paradis où les amants sont dépouillés de leur humanité infirme et sale. Prenez, au contraire, un roman naturaliste, Madame Bovary ou Germinie Lacerleuœ, mettez-les entre les mains des débauchés : il les dégoûtera profondément, les effrayera, car ils s'y retrouveront laids et botes, avec la misère grelottante de leur bonheur. Même il arrivera peut-être qu'ils crieront au mensonge, révoltés, ne voulant pas se reconnaître, trop habitués dans leur galanterie à s'en tenir à l'épiderme, pour accepter le sang et la boue qui sont au fond. Nous ne chatouillons pas, nous terrifions, et une partie de notre moralité est là . « Je me permettrai de citer un exemple qui m'est personnel. Lorsque je publiais Nana dans un journal, tout le Paris boulevardier et demi-mondain protestait. J'avais pu me tromper sur certains détails techniques, dans une étude si complexe et si encombrée de faits; mais les protestations portaient plus encore sur l'esprit même du livre, sur les mœurs et les caractères, particulièrement sur la peinture de cette débauche parisienne qui bat nos trottoirs. Ce n'était pas du tout çà , criait-on ; cette débauche était plus gaie, plus spirituelle, moins enfoncée dans le drame de la chair. Des chroniqueurs, des auteurs dramatiques de talent, vivant dans le monde des actrices et des filles, juraient en souriant que ma Nana n'existait point; et ils regrettaient évidemment que je n'eusse pas crayonné d'un trait léger un de ces fins profils de Grévin, une de ces fleurs charmantes du vice convenu, ayant seulement la pointe d'élégance canaille à la mode.- Eh bien, il y a eu là un phénomène dont l'explication est facile. Voilà des hommes d'esprit qui prennent du vice ce qu'il a de plaisant; ils jouissent de la belle humeur, du luxe et du parfum des filles, ils soupent avec elles, s'oublient avec elles, mais en acceptant seulement le côté agréable, dans une rencontre ou dans une liaison. Ce sont des fleurs qu'ils mettent dans leur vie. Même lorsqu'une femme les éclabousse de son ordure, lorsqu'ils tombent une belle nuit dans un égout par bêtise ou par folie personnelle, ils gardent le silence, ayant par tempérament l'horreur de ce qui n'est pas gai et aimable, préférant tout voir en rose, sous un nuage de poudre de riz. Dès lors, on comprend le malaise de ces témoins, de ces acteurs du vice parisien, dès qu'on