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                       LE ROMAN NATURALISTE                       273
qu'un génie, garanti tel par l'estampille de M. Zola. Il ne nous reste
 donc qu'à l'étudier pour voir ce qu'est un peintre de génie d'après
lui.
   Ecoutons parler Claude lui-même £ :
   « Ils causaient maintenant en retournant vers les Halles. Claude,
les mains dans les poches, sifflant, racontant son grand amour
pour ce débordement de nourriture qui monte au beau milieu de
Paris, chaque matin. Il rôdait sur le carreau des nuits entières,
rêvant des natures mortes colossales, des tableaux extraordinaires.
Il en avait même commencé un ; il avait fait poser son ami Mar-
jolin et cette gueuse de Gadine; mais c'était dur, c'était trop
beau ces diables de légumes, et les fruits, et les poissons, et la
 viande ! »
   Et plus loin :
   « Mais Claude était monté sur le banc d'enthousiasme. Il força
son compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C'était
une mer. Elle s'étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des
Halles, entre les deux groupes de pavillons. Et aux deux bouts,
dans les deux carrefours, le flot grandissant encore, les légumes
submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement d'un gris très
doux, lavant toutes choses d'une teinte claire d'aquarelle. Ces tas
moutonnant comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui sem-
blait couler dans l'encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle
des pluies d'automne, prenaient des ombres délicates et perlées,
des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans
des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante
au lever du soleil; et, à mesure que l'incendie du matin montait en
jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s'éveil-
laient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à
terre     » Suiventla description de chaque légume, la gamme du
vert, la symphonie des couleurs, etc., etc..-.
   « Claude battait des mains à ce spectacle. Il trouvait ces gredins
de légumes extravagants, fous, sublimes....
   « — C'est crânement beau tout de même, murmurait-il en
extase. »

  1
      Voir le Ventre de Paris.