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LE ROMAN N A T U R A L I S T E 271 style, aussi ne nous étonnerons-nous pas de lui trouver d'autres ancêtres et de découvrir de-cide-là des traces d'imitation. Nous pourrions parler d'abord de l'étrange idée d'accommoder au goût du jour, sous couleur de naturalisme, les premiers chapitres de la Genèse, et de placer un nouvel Adam et une nouvelle Eve dans un nouveau paradis terrestre, car Serge et Albine dans le Pa- radou ne sont pas autre chose et l'imitation est évidente1. Rien n'y manque, ni l'arbre de la science du bien et du mal, ni l'accès de pudeur de nos premiers parents en s'apercevant qu'ils sont nus 8 , ni l'archange (frère Archangias) qui les chasse del'Eden. Pour notre goût, nous préférons Milton, quoiqu'il n'ait pas procédé par la méthode expérimentale, mais nous comprenons à la rigueur qu'un romancier moderne, pour se distraire de la mission médicale qu'il remplit, se soit permis cette fantaisie. Ce que nous comprenons moins, c'est que M. Zola, puisqu'il pou- vait satisfaire ses instincts poétiques par cette adaptation curieuse, au lieu de se mettre, ceci fait, à observer sérieusement et à expé- rimenter, comme il a la prétention de le faire, ait adopté parfois pour ses personnages les types vulgaires et usés qui traînent depuis cinquante ans dans les romans-feuilletons. En lisant la Conquête de Plassans, nous ne pouvions nous dé- fendre de trouver que la figure de l'abbé Faujas ne nous était pas inconnue. Quelque chose déroutait cependant nos souvenirs et nous empêchait delà reconnaître tout à fait. Tout à coup un éclair nous a fait comprendre et d'où sortait ce type, et ce qui le déguisait à demi. Faujas est vieux, très vieux, et a paru déjà sous différents noms, mais pour le renouveler un peu, M. Zola a, intentionnelle- 1 Voir La faute de l'abbé Mauret. 2 Albine devenait toute rose. C'était une pudeur naissante, une honte qui la prenait comme un mal, qui touchait la candeur de sa peau, où jusque-là pas un trouble du sang n'était monté Elle regardait rougissant davantage, sa robe dénouée qui mon- trait sa nudité, ses bras, son cou, sa gorge Et bâtant le pas de plus en plus, elle cueillait, le long des haies, des verdures dont elle cachait sa nudité — Tu vas au bal, demanda Serge, qui cherchait à la faire rire. Mais elle lui jeta les feuillages qu'elle continuait de cueillir. Elle lui dit à voix basse, d'un air d'alarme : — Ne vois-tu pas que nous sommes nus ? Et il eût honte à son tour, il ceignit les feuillages sur ses vêtements défaits.