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                             L'ATLANTIDE                              209
 fortune aux entrailles de la mer » se disent les hommes d'action.
 Verdaguer le songeur les a prévenus, et il a rapporté du fond de
 l'Océan un trésor incalculable, l'épopée de l'Atlantide !
    Quelques uns estiment ce poème très riche de détails, trop riche
 même. Ils voudraient que le poète eût lâché parmi toute cette
 luxuriance les moutons de Virgile. Sans doute, la partie descriptive
 se dilate avec complaisance ; je vous accorde même, si vous y tenez,
 qu'elle surabonde par endroits. Qu'est-ce à dire ? « Heureuse
 faute ! » si c'est une faute. Selon moi, un pinceau trop sobre
 messiérait ici. Cette exubérance de style va bien à cette exubérance
 de nature, et l'imagination du lecteur, complice de l'imagination du
 poète, se baigne avec volupté dans les hautes herbes, se roule avec
 ivresse sur les fleurs et les fruits de cette végétation idéale !
    La critique a signalé aussi des longueurs, des redites çà et là.
 « La critique est aisée et l'art est difficile », ce je ne sais quoi, qui
 semble superflu, et que l'on voudrait « amputer », pour rappeler un
 mot de Cicéron, ce je ne sais quoi a son prix et sa raison d'être ; la
 majesté ni la grâce ne haïssent une belle ampleur. Mme Récamier
 avait soin de répandre, pour devenir irrésistible, un air de lan-
 gueur sur son visage, et c'est en négligé qu'elle émerveillait da-
 vantage, h'Atlantide est reconnue belle d'une beauté superbe.
 Rien n'est plus solennel que ce poème à la bonne occasion, il est
 vrai, mais Verdaguer n'a pas oublié son Horace : « Non satis est
pulchra esse poemata, dulcia sunto. » Ce « dulcia », c'est la
 douceur de l'idée, du style, du rythme, du mot ; c'est l'aimable
laisser-aller, le mol abandon, le simple naturel, en un mot c'est
 « la grâce, plus belle encore que la beauté. »
    Hoggarth soutient que la ligne courbe est la ligne de beauté.
Verdaguer pense de même. Lui reprocher ses répétitions, ses péri-
phrases et ses indolences, c'est blâmer l'Ebre, le fleuve catalan,
d'être délicieusement sinueux ; le Guadalquivir, le fleuve espagnol,
d'être calme et charmant.
    Chez Verdaguer, domine une faculté qui n'aurait pas besoin
d'être rare pour être précieuse, c'est-à-dire ce mélange persévérant,
jamais monotone, cette succession d'images puissantes et d'images
délicates, de détails gracieux et de détails terribles. « Amant
alterna camcenœ » disait le berger de Virgile. En effet, l'alternance.