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exactitude. Mais s'il est véritablement artiste, il réalise non le monde de
son intention, mais celui de l'art.
      Pourquoi ? C'est, affirme De Sanctis, que le concept n'existe pas en
art. Le poète, qui opère inconsciemment, ne voit pas le concept, mais la
forme dans laquelle il est enveloppé et comme perdu. Il dompte et tue en
lui l'idéal, c'est-à-dire le réalise, produit une forme dans laquelle il se sa-
tisfait et tout entier s'oublie. Son rôle n'est pas de représenter tel senti-
ment dans sa perfection abstraite, mais de reproduire la réalité vivante.
      On peut inventer un caractère, une situation, sans être poète. Leibniz
a bien imaginé tout un poème épique. On peut aussi construire ce carac-
tère inventé et y appliquer une belle parure. C'est ce que font les écrivains
de second ordre. Mais jusque-là il n'y a pas encore de vie organisée, de
création. Il reste un abîme à franchir pour être appelé Poète.
      Or, que fait le Poète ? Il a devant lui un fantôme qui le tire hors de
son état ordinaire et qui émeut sa fantaisie. L'inspiration est un travail
spontané. Le Poète peut bien s'y préparer par une longue méditation
dont on retrouve les vestiges dans le dessin, la trame, les caractères, la
dernière main ; mais ce qu'il y a de vivant dans sa conception est l'œuvre
de quelques instants qui, parfois, ne reviennent plus. La grandeur du poète
n'est pas dans la quantité ou la qualité des matériaux qu'il emploie, mais
dans leur fusion organique, fusion qui en fait une personnalité vivante,
effet d'une activité intérieure, d'une spontanéité productrice qui s'appelle
le génie... Et le génie n'est pas une virtualité vide, applicable à tout, mais
quelque chose de concret qui s'individualise de telle ou telle façon et pas
autrement. C'est dans ce phénomène d'individualisation en une œuvre
que réside le secret de la vie qui fait de cette œuvre quelque chose de
vraiment beau, d'unique. La création de génie est ainsi caractérisée
essentiellement par ce qu'elle a d'incommunicable, par ce qui ne lui est
pas commun avec d'autres œuvres, par sa propre personnalité. Car elle
a une personnalité qui dépasse en quelque sorte le Poète en tant que cons-
cience, et qui, dès l'origine, renferme en soi virtuellement sa poétique,
ses lois organiques, ses idées, ses parties, sa forme, son style. C'est un
petit monde qui cache dans son sein des trésors visibles seulement à l'œil
du Poète et où les médiocres ne voient rien. Le Poète, lui, attiré, ravi,