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— 6i — me dit aussi que l'Antiquaille avait commencé avec 5 francs (?), mais l'Antiquaille est encore obligé d'exiger une pension (450 francs). Nous montons derrière Saint-Jean les rapides escaliers qui, à travers plusieurs vieilles maisons, mènent à la montée de Fourvières. Une porte dérobée nous met dans.le clos de l'Antiquaille. Pluie, sentiers glissants, pleins de violettes, passages sous de vieilles arcades. Cour demi-circulaire pour les femmes. Une belle, jeune et forte femme errait sous le portique. Dans une autre salle, une jeune fille de la figure la plus heureuse ; une chute indécente, dont on a ri, a suffi pour lui troubler l'esprit. Les hommes sont moins bien. Fol politique, un commissaire de police. Le journaliste Bœuf, ennemi de M. Monfalcon qui pourtant le plaça à l'Antiquaille, n'y a pas séjourné longtemps. Les fols jouissent de la belle terrasse et de la belle vue, moins surplombante néanmoins, moins abîme que celle de Fourvières. Une vue vaste, douce, harmonique ; vaste et pourtant heureusement limitée. On y voit venir de loin, du fond du département de l'Ain, le Rhône en zigzag, abrupt. On ne le perd un moment de vue que pour le revoir plus calme, au delà de la place Bellecour. La Saône, au contraire, semble sourdre lentement du sein de Lyon même. Cette vue a pour les fols l'inconvénient de leur présenter sans cesse des objets en rapport avec leurs passions et leurs souvenirs. Les bruits mêmes de la ville montent jusqu'à eux. Ils doi- vent, les malheureux, prêter mille sens à ces bruits confus du monde dont ils sont séparés (et la plupart pour toujours). Sans doute plusieurs fois ils écoutent et croient reconnaître des voix chéries... Nous descendîmes la longue montée de Fourvières jusqu'à la rue des Juifs et tout ce sombre vieux Lyon qui s'étend au-dessus de Saint-Jean et du Palais de Justice. Naguère encore c'était le centre du commerce, puisque Soufflot y a bâti la Bourse (aujourd'hui temple protestant) \ Ces rues noi- res, coupées par les longues montées grises sans rampes qui semblent des escaliers du diable, sont cependant pleines de belles et somptueuses mai- sons du XVe et du xvie siècle. Quelques-unes dans le genre toscan, comme le Luxembourg. Les boiseries même des portes sont souvent fort curieuses. Une de ces maisons, très richement sculptée, aux fenêtres d'un gothique fleuri, me parut du xive ou xvie siècle2. Dans cette triste promenade, par ce triste temps, vers des lieux si tris- tes, je trouvai quelque chose de plus sombre encore : le scepticisme du 1. Loge du Change, construite de 1747 à 1749 d'après les plans de Soufflot par J. B. et Charles-Antoine Roche. Attribuée par arrêté préfectoral du 17 janvier 1803 à l'Eglise Réformée. a. S'il s'agit de la maison des Thomassin, dont la façade ogivale est d'une sévère élégance, le terme « fleuri - employé par Michelet apparaît assez impropre. Quant à l'Hôtel de Gadagne, il appartient à la Renaissance française, et il semble difficile que Michelet l'ait rattaché au xiv° ou au xve siècle.