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roide, ce peuple qu'on eût pu croire écrasé et atone, vaincu par la répres-
sion, s'éveillaient de nouveau. Et, pour juger plus équitablement, Quinet
manquait peut-être du recul nécessaire.
Michelet, au contraire, voyait de plus loin et de plus haut. La vie
moderne l'avait prodigieusement intéressé pendant son voyage en Angle-
terre. A Liverpool, à Birmingham, à Manchester, il avait étudié sur place le
développement du machinisme et le sort de l'ouvrier, d'ailleurs lamentable
en 1834. Ici, l'industrie de la soie — spectacle tout nouveau pour lui —
l'attirait. Les essais d'organisation sociale le passionnaient, la question reli-
gieuse le hantait déjà . Quoi d'étonnant si son journal manuscrit reflète
toutes ces préoccupations ? En dépit de son laconisme et de ses négligences,
on me permettra de le reproduire intégralement.
Journal du voyage de 1839.
VENDREDI-SAINT. LYON. — Partis le matin et vu, à l'extrémité du quai
du Rhône, port Saint-Clair. M. Arlès-Dufour 1, figure élégante, aimable,
bienveillante. Ex-Simonien, très favorable aux ouvriers ; payait le rédacteur
de l'Echo de la Fabrique pour y avoir une influence, essaya inut(ilement) de
les diriger, avec Lortet2, mais les avocats... il se trouva suspect aux ouvriers,
maudit des fabricants. Cependant estimé. Il y a deux ans, obligé de liqui-
der. Les banquiers lui offrent plusieurs millions.
L'affaire de 1831 a relevé les ouvriers. M. Arles avait averti C(asimir)
Périer de l'imprudence de Dumolard3 et fut mal reçu.
Les petits fabricants ont plus de moralité qu'on ne dit, mais les ou-
vriers qu'ils emploient sont fort corrompus. M. Arles s'afflige de l'éducation
irrélig(ieuse) du Collège qui fait classe le Vendredi Saint. Puiseux4 nous dit
1. J. B. Arlès-Dufour (1805-1873), négociant en soie, ami et légataire universel du Père Enfantin, plus
tard membre de l'Académie de Lyon et sénateur. L'Echo de la Fabrique qu'il essaya indirectement de diriger
est le premier journal ouvrier sérieux qui ait existé en France. Arlès-Dufour ne réussit qu'à se ruiner, mais
il trouva rapidement des commanditaires qui lui permirent de relever ses affaires. Cf. S. Charléty, Histoire
du Saint-Simonisme.
s. D r Pierre Lortet (1793-1868), administrateur des Hôpitaux, ami intime de Quinet avec qui il avait
séjourné à Heidelberg, traducteur d'ouvrages allemands et admirable philanthrope. Cf. Lettres inédites de
Quinet au docteur Lortet (1838-1868), éd. par A. Westphal (1907).
3. Baron Bouvier-Dumolard, préfet du Rhône, au moment de l'émeute de novembre 1831.
4. L. Puiseux, disciple et ami de Quinet, soutint en cette année 1839 sa thèse de Licence à la Faculté.
Cf. Revue du Lyonnais, 1839, tome X.